Par Caroline Lehmann avec Marc Larchet, Carrefours d’Alsace. 

  • Leur ancrage dans la foi chrétienne

A l’instar d’Emmanuelle Campagne, responsable des achats, de l’immobilier et du développement durable à la CAF de Strasbourg, que ça ne dérange pas d’être « identifiée comme chrétienne » mais qui ne veut pas se voir « définie par des étiquettes », aucun des quatre responsables ne revendique sa foi dans le cadre de ses fonctions. Pour autant, Hervé Rohrbacher, codirigeant d’une société de onze personnes, Codris à Brumath, affirme qu’« on n’est pas chrétien uniquement le dimanche au culte ou à la messe, mais dans toutes les dimensions de sa vie, y compris celle de l’entreprise ». Etienne Weber, dirigeant salarié de deux filiales d’un grand groupe du BTP (environ cent personnes), dit faire référence à sa foi « implicitement, par mon attitude ». Quant à Vincent North, ingénieur chez Lilly France à Fegersheim et délégué du personnel apparenté CFTC dans cette entreprise pharmaceutique de près de 1500 salariés, il estime « privilégier ce qui est droit et juste, ce qui pose parfois question et suscite le dialogue ».

  • Leur vision de l’entreprise

« Le travail, on y passe souvent plus de temps qu’en famille », relève Hervé Rohrbacher. Tous sont unanimes pour souligner l’importance du rôle social de l’entreprise. Etienne Weber la définit comme « une source de reconnaissance, d’intégration dans la société et d’ascenseur social ». Selon Vincent North, c’est aussi « un monde avec beaucoup de clichés entre salariés et patrons, qu’il faut chercher à dépasser à force de pédagogie. Car monter les gens les uns contre les autres est contre-productif. »

  • Le partage des richesses et des décisions

Au-delà de la participation des salariés aux résultats de l’entreprise et des primes, Etienne Weber estime que « le salaire est certes le nerf de la guerre, mais la motivation est beaucoup plus large. C’est pourquoi on n’a pas le droit de tricher, ni avec la rémunération, ni avec les personnes, quelles que soient leurs fonctions. Il est nécessaire de faire preuve de respect, d’honnêteté, de dialogue ; de savoir où on va et de faire adhérer au projet. » Un point de vue que partage notamment Vincent North : « Si on est en permanence dans la gestion des conflits, c’est une perte d’énergie considérable.»

  • La gestion des situations difficiles

Dans ses fonctions managériales, Emmanuelle Campagne constate qu’« on peut avoir les meilleures intentions du monde en termes de justesse et de transparence, ça n’est pas pour autant que l’on nous croit. Même en sachant que cela fait partie du jeu, cela n’est pas toujours simple à accepter. » De son côté, Vincent North, tout en exprimant parfois son désaccord sur certains choix de la direction, dit veiller à « ne pas rompre le dialogue ». Sur la façon d’accompagner les collaborateurs qui se positionnent systématiquement contre les orientations souhaitées par l’entreprise, il juge important de les considérer comme « des lanceurs d’alerte, dans la mesure où ils mettent le doigt sur des problèmes qui finiraient tôt ou tard par surgir ». Dans tous les cas, Hervé Rohrbacher, tout comme Etienne Weber, disent ne pas laisser de côté celui/celle qui s’oppose : « La première chose que je cherche à voir, c’est son côté positif et de le valoriser », relate ce dernier. « Mais si on se rend compte que son comportement met en péril l’entreprise, il faut envisager un licenciement. Dans de tels cas, il est important d’accompagner la personne ; on ne peut pas la casser, la jeter. La rupture conventionnelle, quand c’est fait intelligemment, autrement dit quand elle aide l’autre à rebondir, est une bonne chose. »

  • Leurs préoccupations actuelles

Pour Vincent North, le dialogue social s’est durci ces dernières années. Il redoute que les nouvelles dispositions de la loi travail génèrent encore plus de conflits : « Se recaser à 45-50 ans sera beaucoup plus compliqué. » Emmanuelle Campagne, tout en partageant ces réserves, trouve positif de pouvoir, d’ici peu, démissionner et de bénéficier des indemnités chômage. « Cela permettra à davantage de personnes de prendre le risque de bouger et amènera plus de fluidité sur le marché du travail. » Hervé Rohrbacher pointe quant à lui les problèmes liés à « l’empilement des charges sociales et patronales » et à la compétitivité des entreprises en France. Sans parler de la difficulté de recruter les profils recherchés, « un gros frein au développement », d’après lui. Enfin, pour ce qui est de l’évolution du travail, tous s’accordent sur le fait que « l’utilisation de la messagerie électronique est arrivée à maturité mais qu’elle est déjà saturée. Il faut, suggère Hervé Rohrbacher, inventer l’outil suivant : aller chercher l’info quand on estime que l’on en a besoin ». Rien ne remplace « le face à face, autour d’une table, surtout sur des sujets sensibles » puisque « l’homme sera toujours au cœur ». Une conviction d’Etienne Weber que partagent les trois autres chrétiens en entreprise.