Entre un modèle dominant qui a montré ses limites et des aspirations en phase avec la société, les agriculteurs constituent une profession aujourd’hui diversifiée, que les Églises tentent d’accompagner.
Dans notre région comme partout en France, les agriculteurs semblent être partagés, entre ceux qui peinent à se sortir du modèle apparu dans les années 50 avec l’utilisation massive d’intrants (pesticides et engrais) et la sur-mécanisation et ceux qui ont adopté une agriculture paysanne. Mais que ce soit le céréalier qui a une grosse exploitation ou bien le petit maraîcher, la profession souffre d’une image négative. « Les consommateurs sont très méfiants et pensent que les agriculteurs les empoisonnent. En plus, l’opinion met en général dans le même panier les agriculteurs et l’industrie agroalimentaire », explique Patrick Bastian, éleveur à Zehnacker, conseiller régional à la Commission agriculture et forêt, élu à la Chambre d’agriculture Alsace et à la Fédération départementale des syndicats des exploitants agricoles du Bas-Rhin. « Il existe une déconnexion entre les producteurs et les consommateurs », avance de son côté Daniel Starck, fermier à Seebach et porte-parole de la Confédération paysanne Alsace. « Les agriculteurs sont amenés à être transparents », résume Patrick Bastian. « Bien souvent, ils se sentent agressés alors qu’ils sont convaincus de bien faire, » selon Daniel Starck, bien conscient néanmoins de la dégradation de l’environnement.
Un changement de mentalité
Si le consommateur demande plus d’efforts aux agriculteurs, il doit aussi pouvoir participer au changement de modèle. « C’est compliqué de faire bon et pas cher », selon Patrick Bastian qui assure pourtant voir une prise de conscience de consommateurs prêts à mettre plus d’argent pour se nourrir mieux. Selon le conseiller régional, les pratiques évoluent vers une agriculture raisonnée et le développement de la vente directe dans notre région est un atout. Mais cette inflexion du modèle dominant ne suffit pas pour Daniel Starck. « Pour produire toujours plus à moindre coût, les agriculteurs, qui sont à la merci des aléas climatiques et des fluctuations de prix, tombent dans le piège d’acheter beaucoup d’intrants à des prix qu’ils ne maîtrisent pas et d’investir dans de grosses machines. Ils ont l’impression d’être la dernière roue du carrosse.» Le porte-parole de la Confédération paysanne Alsace aimerait voir l’agriculteur davantage au centre du jeu, avec le concours des consommateurs et des politiques. « L’agriculture a des solutions pour la préservation de l’environnement, comme le stockage du carbone dans le sol. »
« Aujourd’hui, la production à grande échelle revient finalement plus cher à la collectivité. »
Au niveau de la société, Daniel Stark prône un changement de paradigme : « Aujourd’hui, la production à grande échelle revient finalement plus cher à la collectivité, avec la pollution de l’eau ou les coulées de boue. Alors qu’on n’évalue pas les bienfaits des produits bio pour la santé des gens, des animaux et du sol. » Mais le modèle d’une agriculture paysanne n’est pas soutenu, selon lui, par la majeure partie de la profession.
L’Alsace préservée ?
Changer radicalement de modèle n’est pasencore dans les mentalités. C’est peut-être parce que l’Alsace est une région aux terres fertiles et à l’agriculture diversifiée. La moyenne des agriculteurs se porte mieux que dans d’autres régions et notamment la Moselle aux terres un peu moins fertiles et qui n’a pas pris le pli de la diversification. « Le Grand Est produit largement et exporte »,
explique Patrick Bastian. Le sociologue Gilles Laferté parle même d’un « embourgeoisement » des céréaliers de l’Est de la France. D’un autre côté, la souffrance des agriculteurs existe aussi en Alsace. Mais, alors que sa section lorraine a été créée il y a plus de 25 ans, l’association Solidarité paysans, qui accompagne les agriculteurs en difficulté, a ouvert une antenne en Alsace il y a seulement deux ans et a aidé une dizaine de personnes l’année dernière. « Il existe plusieurs sortes de difficultés, explique Marie-Ray Prou, présidente de la section locale, basée à Lapoutroie. Il y a ceux dont la chute des prix est la goutte de trop et qui ne peuvent plus s’en sortir financièrement. D’autres subissent une transmission de la ferme et n’arrivent pas à être le vrai patron. Certains n’ont pas eu l’habitude d’être à plusieurs et doivent travailler en association avec d’autres agriculteurs pour s’en sortir tandis que de nombreux autres se sentent seuls pour tout assumer. » Cependant, pas mal d’agriculteurs en Alsace et en Moselle tentent d’être innovants et parient sur un avenir plus durable.
Zoom sur le paysage agricole en Alsace et en Lorraine
L’agriculture alsacienne occupe près de 40 % du territoire avec 336 640 ha de surface agricole utilisée (SAU) dans une région dont la densité de population est deux fois supérieure à la moyenne nationale. Les 12 014 exploitations ont en moyenne 45 ha de SAU contre une moyenne de 81 ha sur l’ensemble de la France. Cela n’empêche pas d’enregistrer une rentabilité des actifs familiaux (ressources) supérieure à la moyenne. L’agriculture alsacienne est diversifiée : en plaine, qui couvre la moitié de la superficie régionale, on cultive des céréales (surtout du maïs) et des productions emblématiques (chou à choucroute, tabac, houblon, betteraves …) ; le piémont des Vosges est très favorable à la culture de la vigne, aux arbres fruitiers et à l’élevage ; le sud du massif vosgien, l’Alsace bossue et le Sundgau abritent notamment de l’élevage. Le développement économique agricole de la région provient d’abord de la viticulture d’appellation d’origine contrôlée, qui valorise 16 000 ha et représente 41 % du produit agricole total de l’Alsace. Autre particularité de cette région : un quart des exploitations alsaciennes vend en circuits courts.
Peu diversifiée, l’agriculture lorraine produit surtout du lait, de la viande bovine, des céréales et du colza. Les exploitations agricoles lorraines sont de moins en moins nombreuses et de plus en plus grandes avec une surface agricole utilisée (SAU) moyenne par exploitation de 102 hectares. La Lorraine comptait 11 100 exploitations en 2013, soit 12 % de moins qu’au dernier recensement de 2010. C’est la région française où la perte est la plus élevée. L’orientation économique vers les grandes cultures devient dominante. En trois ans, la Lorraine est passée devant les régions Centre et Picardie qui font, elles aussi, partie des régions de grandes cultures.