Sur la question de la pauvreté, la Bible s’inscrit dans la tension entre le verset qui dit : « Il ne devrait pas y avoir de pauvres chez toi » (Dt 15, 4) et la parole de Jésus à ses disciples : « Des pauvres, vous en avez toujours avec vous » (Mc 14, 7). La première affirmation s’inscrit dans la série des mesures sociales que l’on trouve dans le Premier Testament : interdiction du prêt à intérêt, remise des dettes, droit de glanage… Elles nous rappellent qu’une société solidaire est une société solide. Comme le dit le célèbre slogan des Restos du cœur : « Aujourd’hui on n’a plus le droit ni d’avoir faim ni d’avoir froid. »
Thomas d’Aquin a posé une distinction féconde entre misère et pauvreté. Le pauvre, écrit-il, est celui qui manque du superflu ; le miséreux, lui, manque même du nécessaire. La pauvreté se qualifie par les principes de simplicité et de frugalité alors que la misère désigne la chute dans un monde sans repère où toutes les forces du sujet sont orientées vers la survie, quel qu’en soit le prix. Pour répondre à l’injonction du Deutéronome, le devoir d’une société est d’éradiquer la misère. Dans ce registre, chacun est appelé à faire sa part, l’État, les associations et les Églises. Mère Teresa, qui s’y connaissait en matière de misère, a dit que la plus grande pauvreté était de ne compter pour personne.
L’affirmation du Christ qui rappelle que les pauvres seront toujours là déplace le focus vers le disciple. Dans un apologue rabbinique, un élève pose la question : « Si Dieu aime les pauvres, pourquoi ne les sort-il pas de leur pauvreté ? » Son maître répond : « Pour donner l’occasion aux hommes d’exercer leur générosité. Dieu savait qu’un monde sans bonté ni charité deviendrait invivable, car les humains s’enfermeraient dans leur égoïsme et finiraient par mourir de solitude. » C’est dans ce registre que nous pouvons entendre la sentence du Talmud qui dit que le mendiant fait plus pour le maître de maison que le maître de maison pour le mendiant.
Pour le philosophe Nicolas Berdiaev, « le problème du pain pour moi-même est une question matérielle ; mais le problème du pain pour mon prochain est une question spirituelle ». La diaconie ne fait pas partie des bonnes œuvres de l’Église, des actions qu’il est souhaitable d’entreprendre parce qu’on a une sensibilité sociale, elle relève de l’être de l’Église, elle est au cœur de son identité.