C’est ainsi que l’inspection générale des affaires sociales a produit un travail de synthèse, à partir de diverses enquêtes européennes, sur le vécu des relations de travail[1]. Le rapport date d’un an et il a peu été relayé par la presse. Pourtant il désigne un certain nombre de points durs dans le vécu du travail, en France, qui ont, assurément, des conséquences en dehors du travail lui-même.
L’angle d’entrée du rapport est celui des pratiques managériales. D’abord, ce qui est perçu comme un « bon management » ne varie pas beaucoup d’un pays à l’autre. Il est partout « décrit comme celui qui se caractérise par un fort degré de participation des travailleurs, d’une part, et qui assure la reconnaissance du travail accompli, d’autre part ». Quelques items viennent préciser ce qu’on entend par là : « autonomie, clarté des rôles, décentralisation de la décision ». Au fil du rapport apparaissent d’autres critères majeurs, comme le soutien de la hiérarchie, sa disponibilité ou la confiance qu’elle accorde aux subordonnés. Or, c’est dans tous ces items relationnels que le management français apparaît en nette difficulté, par rapport aux autres pays européens.
Des relations de travail formelles et verticales en France
En France, par comparaison, le management (à tous les niveaux) apparaît comme distant, vertical et peu concerné par les personnes encadrées. On pense souvent à l’Europe du Nord comme modèle d’une société plus coopérative. Mais la France est en recul, même si on la compare à des pays comme l’Irlande ou l’Italie. La reconnaissance du travail accompli y est médiocre. L’autonomie s’apparente plus à de l’isolement qu’à du pouvoir d’action. En résumé, les relations de travail apparaissent comme pauvres et décevantes.
Le rapport pointe du doigt, à ce propos, « la formation des managers très académique et peu tournée vers la coopération ». Je suis assez d’accord avec ce point de vue. Et, parlant de formation, cela m’a remis en mémoire des parties peu commentées des enquêtes PISA, sur le niveau scolaire des élèves dans différents pays, où les élèves français disaient rencontrer peu de soutien de leurs enseignants quand ils étaient face à une difficulté. Là aussi, ayant eu l’occasion de côtoyer des élèves et des enseignants dans d’autres pays, je mesure la dureté des relations sociales d’enseignement, en France.
Un dernier point qui m’a intéressé dans le rapport est, à l’inverse, le dispositif législatif qui encadre les relations de travail, et qui est bien plus fourni en France qu’ailleurs ; comme si l’existence du droit écrit suffisait à régler les questions, et dispensait de s’en préoccuper. Une fois encore, cela renvoie à un trait général de la société française, que j’ai pu observer, par contraste, en me promenant hors de France : une sorte de croyance magique dans les vertus du droit.
Un déficit coopératif qui a de lourdes conséquences sociales
Je ne vais pas me lancer dans une analyse des origines de cette spécificité française. Prenons-la, ici, comme un état de fait. Or, ce qui se vit dans le monde du travail a des effets délétères sur la santé mentale des salariés, qui est spécialement mauvaise, chez nous.
Et, alors que nous sommes face, en France comme ailleurs, à des défis majeurs qui nécessiteraient des coopérations renforcées, il est illusoire d’espérer que la législation suffira à y faire face.
Les Églises, les associations d’entraide, les tiers lieux, les coopératives en tout genre, ne pourront pas, à eux tout seuls, inverser la tendance. Mais ils peuvent, au moins, être des espaces où la valeur de la coopération est reconnue et mise en œuvre. Le vrai défi est que ce qui se vit dans ces cercles limités puisse faire tache d’huile au-dehors et inspirer d’autres options.
Ce qui me frappe, en lisant le rapport de l’IGAS, est que, pour le coup, ce n’est pas forcément la logique économique qui est en cause (car elle est largement semblable au travers de tous les pays européens), mais plutôt une histoire sociale. Et cela doit nous interroger.
[1] IGAS, Pratiques managériales dans les entreprises et politiques sociales en France : Les enseignements d’une comparaison internationale (Allemagne, Irlande, Italie, Suède) et de la recherche, JUIN 2024.