Penser le retour de la guerre, tel est l’enjeu du jour. Notre pays a bénéficié d’un privilège inestimable : quatre-vingts ans de paix en Europe. Un cadeau sublime de l’Histoire, mais une sublime anomalie, dont l’origine plonge dans l’épouvante, puisqu’on estime à près de trente millions le nombre de morts en Europe durant la Seconde Guerre mondiale, dont six millions et demi de Juifs exterminés dans les conditions que l’on sait.
Les déclarations du général Fabien Mandon, chef d’état-major des Armées, devant les représentants de l’Association des Maires de France, ont provoqué des polémiques politiques et, sans doute, au sein des familles, une certaine émotion. Pour en comprendre les ressorts, il nous semble essentiel d’en rappeler quelques extraits :
« La Russie est convaincue que les Européens sont faibles. Pourtant nous sommes forts. Fondamentalement plus forts que la Russie, à la condition d’accepter que nous vivons dans un monde en risque et que l’on peut utiliser la force. La France a les compétences techniques pour produire ce qu’il y a de mieux au monde en matière de Défense, comme les drones. Nous avons tout pour dissuader Moscou. Ce qu’il nous manque, c’est la force d’âme pour accepter de nous faire mal pour défendre la Nation. Il faut accepter de perdre nos enfants, de souffrir économiquement. Si nous ne sommes pas prêts à cela, alors nous sommes en risque. Il faut en parler dans vos communes. »
« Accepter de perdre nos enfants ».
Une phrase a choqué dans cette intervention : « Il faut accepter de perdre nos enfants ». Le général protestant Jean-Fred Berger n’est pas surpris par les débats que ces déclarations suscitent, non parce qu’il banalise les paroles publiques d’un officier supérieur, mais parce qu’il sait que nos concitoyens ont vécu dans l’illusion que la paix était acquise définitivement, alors même que nous assistons au retour des impérialismes et des politiques de grande puissance, de l’usage de la force comme moyen principal pour obtenir des résultats, que l’intangibilité des frontières est battue en brèche.
Ne pas s’alarmer malgré le choc des mots
« Il ne faut pas s’alarmer de ce langage, qui est simplement celui d’un militaire, commente le général (2S*) Jean-Fred Berger. Le CEMA s’est adressé aux maires de France avec franchise, comme un chef parle à ses soldats. Lorsque je suis parti en OPEX** au Kosovo, alors que j’étais colonel à la tête d’un régiment parachutiste, puis plus tard en Afghanistan comme général, je considérais les femmes et les hommes placés sous mon commandement comme mes propres enfants. Cela ne signifiait pas que j’adoptais une attitude paternaliste : j’avais simplement la volonté sincère de tous les ramener sains et saufs. »
Dans le contexte actuel, on peut comprendre que nos concitoyens s’alarment et redoutent que ces propos préfigurent une mobilisation générale, ou du moins la mobilisation d’une classe d’âge, à l’image de ce qui se passe aujourd’hui en Ukraine. « Il n’y a pourtant aucun besoin de mobiliser et d’équiper les jeunes Français comme en 1914 ou en 1939, explique notre interlocuteur. En août 1914, la France avait levé 260 régiments d’infanterie, pour un total de trois millions et demi de soldats. Aujourd’hui, seuls nos réservistes seraient concernés : soit 29 000 hommes et femmes pour l’Armée de terre. Car outre notre appartenance à l’OTAN, alliance forte de 32 pays, le principal pilier de notre outil de défense est notre dissuasion nucléaire, puissante et crédible avec nos sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) et nos forces aériennes stratégiques. »
Engagement et devoir face à l’hypothèse de guerre
En tant que protestants, nous ne pouvons pas envisager le déclenchement d’une guerre de haute intensité sans se poser des questions multiples. Et si la Fédération protestante de France a mis en place une formation commune aux aumôniers militaires et à ceux des hôpitaux pour anticiper toute éventualité, chacun comprend que l’hypothèse d’un conflit général en Europe inquiète ou révolte.
« Tout protestant a le devoir d’agir selon sa conscience, à l’image de Luther en 1517, et de se tenir droit face au réel pour faire des choix cohérents, poursuit le général Berger. Pour ma part, je reste fidèle à l’engagement de l’un de mes oncles, le Lieutenant Jean-Pierre Berger, mort pour la France à 25 ans. Chef de la troupe d’éclaireurs unionistes au Temple de l’Étoile à Paris, il écrivit à ses parents après l’Appel du 18 juin 1940 : “ Tant qu’il y aura un combattant, je serai à ses côtés.” Abattu en avion alors qu’il tentait de rallier Gibraltar le 30 juin 1940, il fut fait “Compagnon de la Libération” à titre posthume par le général de Gaulle. Chacun doit défendre notre liberté, à sa manière. Et dans l’hypothèse d’un conflit majeur impliquant la France, nous aurions besoin de toutes les volontés, à tous les postes. »
Il convient d’être lucide. Un journaliste installé derrière un bureau confortable est-il en droit de tracer des perspectives héroïques, alors que ce sont des jeunes gens qui vont plonger dans la fournaise et la boue, la mort et le sang ? Poser la question, c’est déjà répondre. Trois générations de Français ne savent rien de la guerre et, d’entre eux, nombre d’hommes ont échappé au Service militaire – c’est, d’ailleurs, en avouant avoir, comme beaucoup d’élus, permis à des jeunes gens d’échapper à ce pensum, que Jacques Chirac avait dit qu’il était juste de le supprimer. Cela doit rendre modestes les parents et grands-parents d’aujourd’hui. Mais les Romains qui, tout de même, ont laissé dans l’Histoire universelle un souvenir, nous ont aussi légué deux maximes : « O tempora, o mores », et « Si vis pacem para bellum ». A méditer.
