Par Frédéric Rognon, professeur de philosophie à la faculté de théologie protestante de Strasbourg

L’un des arguments les plus puissants en faveur du transhumanisme réside dans sa promesse de mettre un terme, un jour prochain, à la douleur physique. Comment ne pas comprendre l’espoir des personnes souffrant de maladies incurables et littéralement insupportables ? Et cependant, les chrétiens ne peuvent se laisser séduire par un tel discours. Il n’est pas question pour autant de valoriser ni de cultiver la souffrance, d’en faire par exemple un chemin de sainteté. Il s’agit bien plutôt d’essayer de comprendre ce que le Dieu de Jésus Christ veut pour nous, à travers nos limites, notre vulnérabilité et notre condition mortelle.

Nous sommes des êtres sujets à la souffrance et à la mort. Cette finitude marque notre condition dans le monde. Nous pouvons la voir comme un malheur (ce que font les transhumanistes) mais nous pouvons aussi l’accueillir comme une ouverture à l’autre, une invitation à la bienveillance, au service, à la sollicitude, à la solidarité : à l’amour du prochain. Dieu lui-même s’est fait homme en Jésus Christ : il nous a rejoints dans la faiblesse d’un petit enfant mis au monde dans une crèche ; dans les aléas d’une vie d’épreuves et de tentations ; dans l’infinie douleur d’une victime de l’injustice et de la violence des Hommes ; dans la plus ignominieuse des morts, celle de la crucifixion. Il a fait tout cela, pour nous, par amour pour nous, pour nous enseigner à aimer à notre tour.

Assumer notre condition vulnérable et mortelle

La séduction du transhumanisme est au contraire celle du serpent de la Genèse : « Vous serez comme des dieux… » Il nous promet de ne plus souffrir et de ne plus mourir, comme des dieux qui échapperaient à la vulnérabilité, et donc à la compassion et à l’entraide. Le cyborg n’est plus confronté à une altérité : désincarné, il n’a personne à aimer. Les cyborgs entre eux entretiendront des relations d’efficacité, de puissance, de domination, non pas d’amour. Il n’est pas étonnant de constater que le premier financeur des recherches transhumanistes soit le Pentagone : le « soldat augmenté » sera un militaire invincible. Aux antipodes de l’esprit de service dont le Christ nous a montré l’exemple pour que nous fassions de même.

Nous sommes donc invités à une théologie de l’incarnation : une structuration de notre foi qui prenne au sérieux l’Écriture, qui accueille avec gratitude les promesses du Dieu de Jésus Christ, et qui assume donc notre condition vulnérable et mortelle. C’est en demeurant enracinés en Christ, persévérants dans la communion avec lui et les uns avec les autres, que nous trouverons les ressources spirituelles pour résister à la vague néo-païenne du transhumanisme.