Tout se chevauche à la fin. Douze mois, pensez-donc ! Est-ce que cela peut suffire à notre soif ? Une vie d’être humain se trouve traversée de temporalités multiples. Celles que l’on a connues, celles que nous ont raconté les anciens, celle des grimoires enfin, reliques d’autrefois que l’on secoue dans le shaker de notre imaginaire. Alors, oui, le bilan d’une année vacille entre le commun et le singulier, le collectif et le particulier.

Première écoute, ou premier regard ? Il n’est de pire sourd, dit l’adage, que celle ou celui, qui ne veut pas entendre. Ou voir, pour évoquer Péguy, lequel nous recommande l’exigence : « Il faut toujours dire ce que l’on voit ; surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit ». Or, que voyons-nous ?

Jamais depuis 1933 la démocratie n’a paru si fragile

Peut-être parce qu’elle a renoncé devant l’économie. L’idée suivant laquelle, au-dessus des votes et des lois, domine une science exacte qu’il suffit d’appliquer pour que tourne le monde, cette idée-là se révèle mortifère. En 2009 ou 2010 – il arrive que les souvenirs deviennent flous, Michel Rocard nous avait déclaré qu’il eût fallu traduire Friedrich Hayek et Milton Friedman devant un tribunal international parce que ces théoriciens d’un libéralisme sans limites avaient provoqué le désastre où nous étions déjà plongés. Ce que l’on nomme ultra libéralisme se porte bien. Merci. Comme en réponse biaisée, l’idéologie d’extrême droite, nous voulons dire ici le rejet de l’autre, la volonté d’affirmer la supériorité de « nous » sur « eux », menace les régimes qui paraissaient les mieux assurés contre ce genre de folie.

La victoire de Donald Trump en est l’étape essentielle. Réponse biaisée parce que, chacun le sait, de telles aventures n’ont aucune chance de faire vivre la liberté, l’égalité, la fraternité. Mais ceux qui réclament depuis plus de vingt ans qu’on les écoute, et qui ne se reconnaissent pas dans les utopies contemporaines, choisissent, perdu pour perdu, le premier chamboule-tout qu’ils trouvent sous leur main.

La France est passée tout près du désastre cet été. Pour combien de temps ?

Le 2 janvier 2024, nous avions cité quelques pensées que l’historien Pascal Ory venait de publier dans un « Tract » édité par Gallimard. En voici, choisi parmi d’autres, un extrait : « L’essentiel de la crise actuelle provient de notre culture autoritaire. Depuis le printemps dernier, le président de la République ne dispose plus d’une majorité au Parlement. Nous pourrions considérer ce blocage comme une chance, une opportunité. Tout au contraire : nous assistons au jeu très français de la confrontation et de la bipolarité – cultivées par les institutions de 1958, aggravées en 1962 – pour ou contre Jupiter. Cette conception du pouvoir, on le sait, prend sa source dans notre vieille tradition monarchique. A l’exception de la Troisième et la Quatrième République – lesquelles ont péri dans la tragédie en 40 et le drame en 1958 – notre pays a privilégié les régimes construits sur un pouvoir personnel. Nous sommes donc prisonniers – des prisonniers satisfaits de l’être – de cette culture politique qui ignore le sens des mots « coalition » et compromis », si évident dans la totalité des pays voisins. »

La dissolution de l’Assemblée nationale, annoncée le 9 juin, l’absence de majorité qui résulta du vote de nos concitoyens, la censure du gouvernement de Michel Barnier le 4 décembre et la nomination d’un « gouvernement Bayrou », n’enlèvent rien à la pertinence de ces propos.

Depuis janvier, les guerres se multiplient, la discorde s’installe en Europe et la Chine paraît puissante comme jamais. Nous ne pouvons oublier non plus cet antisémitisme virulent, quotidien, qui menace nos frères juifs et que la guerre au Proche-Orient ne cesse d’alimenter.

Nous nous en voudrions de gâcher la fête. Il est souhaitable de prendre un peu de repos. Mais gardons à l’esprit le mot de la Du Barry, place de la Nation, le 8 décembre 1793 : « Encore un instant monsieur le bourreau »