Pour comprendre ce dont parle le transhumanisme, il faut se référer à Humanité 2.0, la Bible du changement écrit par Ray Kurzweil en 2005 et qui en est le manifeste fondateur. L’idéologie générale et les objectifs de ce courant émancipateur néo-positiviste et néo-scientiste y sont clairement exposés. Il énonce la conviction que les progrès de l’intelligence artificielle et de la technologie feront reculer les finitudes qui s’attachent à l’humanité depuis toujours et même finiront par éradiquer la mort. Il nous annonce, tel un prophète de l’âge des cyborgs, que la parole fameuse du livre de l’Apocalypse la mort ne sera plus va bientôt devenir une réalité pour les êtres humains. Non par la grâce de Dieu mais par le génie de la science. Le développement exponentiel de l’intelligence artificielle devrait atteindre le niveau de l’intelligence humaine aux alentours des années 2030 et le dépasser. Ce stade où les hommes seront dépassés par leurs machines a été nommé Singularité par les transhumanistes.
Des besoins réels
La perspective de la Singularité offre à l’humanité toutes sortes de possibilités jusqu’ici purement utopiques. La principale est celle de « l’homme augmenté », qui sera en fait un homme nouveau par rapport à ce qu’il est aujourd’hui. Comme dans l’Évangile mais par d’autres moyens, les ingénieurs seront capables de rendre la vue aux aveugles, l’ouïe aux sourds, le mouvement aux paralytiques, la raison aux fous…
Bien mieux, il devrait être possible d’augmenter les capacités physiques, intellectuelles et créatives de l’homme, éradiquer ses maladies et étirer sa longévité jusqu’à annuler la fatalité de la mort. Comment ? En remplaçant progressivement les éléments biologiques de notre corps par des machines jusqu’à devenir soi-même une machine habitée par une conscience. Ou bien, comme dans le film réalisé par Wally Pfister, Transcendance, (2014), en téléchargeant sur un disque dur de super-ordinateur les données numérisées de la conscience individuelle. Devenues ainsi immortelles, nos consciences entreprendront de coloniser l’univers entier jusqu’à le rendre globalement intelligent, l’éveillant ainsi à lui-même tel un Dieu endormi. Pour Ray Kurzweil, l’annulation de la mort représenterait un bond prodigieux dans la conservation des connaissances et des expériences puisque, selon un proverbe africain, un vieux qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle.
Une idéologie problématique
Pour farfelu qu’il apparaisse, ce programme dispose de son université en Californie, d’énormes moyens financiers ainsi que d’une cohorte d’aficionados scientifiques de par le monde qui multiplient colloques et recherches. Il est donc à prendre au sérieux. Ses retombées impacteront notre proche avenir commun. Il est possible cependant de lui opposer quelques solides objections. D’abord, c’est bien mal connaître l’humain, écrit Chantal Delsol, que d’identifier sa conscience à une clé USB.(2) En fait, Kurzweil lui-même reconnaît que l’on ne sait pas exactement ce qu’est la conscience. Dès lors, il y a dans son discours une bonne part de science-fiction.
Ensuite, la fin de la mort signifierait la fin de toute nouveauté possible. Une parole talmudique dit qu’il se trouve en chaque être qui naît une étincelle de nouveauté que son possesseur est chargé d’apporter au monde afin que ce dernier ne vieillisse pas. Sans acceptation de la mort, il n’y a plus de naissance possible, donc ni nouveauté ni espérance. Sans l’apercevoir, les transhumanistes nous condamnent au cauchemar du vieillissement infini. On devrait enfin méditer sur le fantasme de toute-puissance qui se cache derrière l’idéologie des transhumanistes. Il se pourrait qu’on soit en présence des ferments d’un totalitarisme.
(1) Le transhumanisme est un mouvement culturel et intellectuel international prônant l’usage des sciences et des techniques afin d’améliorer les caractéristiques physiques et mentales des êtres humains. Il considère certains aspects de la condition humaine tels que le handicap, la souffrance, la maladie, le vieillissement ou la mort subis comme inutiles et indésirables.
(2) La Haine du Monde, par Chantal Delsol. Ed du Cerf 2016