La belle affaire que de parler aux jeunes quand on préside la République. On espère ainsi maîtriser l’avenir, alors que l’on sait que l’on ne contrôle rien du lendemain – ou si peu. Mais ce public, imprévisible, oblige à tirer des bords plus qu’à tracer des perspectives. En s’adressant aux journalistes du site d’information Brut, Emmanuel Macron a pensé tout à la fois convaincre, apaiser, susciter l’enthousiasme. La quadrature du cercle en quelque sorte.

« Il faut bien le dire, ce type d’exercice, très classique, est rarement efficace, observe Nicolas Roussellier, professeur des Universités à Sciences-po. On ne doit donc pas prendre le miroir pour le réel, déduire de l’intervention présidentielle de vendredi dernier qu’elle représentait un geste audacieux. Ce qui est nouveau, ce sont les circonstances. La pandémie provoque un désastre social chez les étudiants, nombre d’entre eux viennent de perdre le petit boulot qui leur assurait des conditions de vie matérielles décentes, et la plupart voient s’éloigner les perspectives d’entrée sur le marché du travail. Dans ces conditions, le Président n’avait pas le choix ; il devait prendre une initiative. »

Souple sur le plan dialectique et ferme sur ses propres décisions, le chef de l’État s’est montré d’une grande habileté, prouvant qu’en plus d’une connaissance aigüe des dossiers, il pouvait séduire des journalistes pugnaces qui ne laissaient de côté nulle question gênante. Il en faut plus, pourtant, pour conclure que cet exercice a permis de résoudre les problèmes du jour. « Une bonne communication n’implique pas de se déplacer là où se trouvent les interlocuteurs que l’on veut convaincre, estime Pierre Larrouy, essayiste et analyste politique. On nous a vendu l’idée du geste transgressif, mais en choisissant une chaîne d’information inscrite sur les réseaux sociaux, le président de la République a légitimé la polémique permanente et le dissensus, en contradiction avec ce que représente sa fonction. » De fait, le brio de l’exercice a vite montré sa limite. Alors que les questions fusaient, le président s’épuisait. « Malgré ses quarante ans, le président de la République a paru soudain plus vieux, décalé par rapport au public qu’il voulait atteindre, observe Nicolas Roussellier. Il a dû faire face à la culture de l’instantanéité, du SMS, du tweet, alors qu’il essayait de construire un argumentaire. Alors que d’une façon générale la jeunesse laisse parler ses émotions, ce comportement finalement très politique avait peu de chance de convaincre. »

Alors que nos concitoyens savaient gré au Président d’avoir privilégié la préservation de leur santé, les quelques propositions formulées vendredi semblent ouvrir un nouveau front de contestation. Les syndicats de police ont exprimé leur indignation face à l’idée d’instituer un système dénonçant les discriminations, tandis que les associations d’étudiants contestent toujours l’article 24 du projet de loi sur la sécurité globale. De surcroît, toute la jeunesse Française ne se reconnaît pas dans ces mouvements de révolte. Le sondage publié par le 26 novembre dernier par l’IFOP révèle un rejet de l’islamophobie, mais aussi une demande d’autorité traditionnelle, un sentiment d’appartenance qui se porte avant tout sur la nation plutôt que sur la commune ou la région. « Un écosystème du doute et de la défiance a clairement pris le dessus chez des jeunes, qui sont aujourd’hui majoritairement démunis sur le plan conceptuel,  analyse Pierre Larrouy. Pas forcément hostiles à une limitation de la liberté d’expression, nombre de jeunes pourraient soutenir des options politiques conservatrices. » Emmanuel Macron, symbole d’une société ouverte, sinon libertaire, n’incarne pas cette tendance.

A quelles conditions pourrait-il rebondir ? On trouve un début de réponse dans « Le sorcier de l’Élysée », l’ouvrage que François Bazin a consacré à Jacques Pilhan, qui fut notamment le conseiller en communication politique de François Mitterrand : «Jacques Pilhan a une certitude : on ne répond pas par la raison à des mouvements irrationnels. Des forces de cette nature ne peuvent être combattues comme si on pouvait les détruire ou les faire disparaître. Au contraire, dit-il, il faut savoir les gérer en les faisant émerger puis en inversant leur dynamique.»

Il ne suffit donc pas de transgresser, de répondre aux attentes de l’opinion, mais il faut encore être en mesure de porter le message.  « Dans ce genre de situation, il faut en revenir aux vieilles lois de la guerre, confirme Pierre Larrouy. Quand on n’a plus de capacité de conviction, on doit aller chercher chez les gens ce qu’ils peuvent mettre en commun; cela passe par la désignation d’un ennemi. » Lors de la campagne de 2016-2017, Emmanuel Macron est parvenu a désigner cet ennemi- une classe politique discréditée par son inefficacité sur le terrain de l’emploi- et capter la colère des électeurs à son profit. Cette fois, il semble dépassé.

Lors de sa première intervention portant sur la COVID 19, au mois de mars, Emmanuel Macron a déclaré : « nous sommes en guerre. » Il a sans doute voulu remobiliser la société vers un objectif commun. Mais il n’est pas sûr qu’il puisse incarner cette politique. Pour protéger l’autre, il faut avoir vécu soi-même des épreuves douloureuses et les avoir surmontées. Ce n’est pas une garantie de succès, mais une condition. L’ancien maire du Havre Antoine Rufenacht, avait coutume de résumer sa pensée de cette façon: « Pour être président de la République, il faut être couturé… » Une fille de pasteur, revenue de tout, épuisée de pouvoir, trouve une jeunesse nouvelle de l’autre côté du Rhin. Chez nous, le prince paraît toujours un enfant.  La politique, ou l’art de la surprise…

A lire :

« Après », de Pierre Larrouy éditions UPPR, 16,50 €

« La force de gouverner » Nicolas RoussellierGallimard, 830 p. 34,50 €