Mardi 1er octobre, 15 heures passées de quelques minutes, Michel Barnier monte à la tribune de l’Assemblée nationale. Svelte, élégant, calme d’apparence, un petit quelque chose de britannique – ô l’ironie de l’histoire… – contredit par cette souplesse typiquement Française dont parle Jean Renoir au sujet de nos vraies femmes du monde qui savent retirer leur vison sans apprêt. La voix du nouveau Premier ministre enveloppe l’hémicycle de douceur, un timbre grave mais léger, souvent teinté de sourire. Un discours de tempérance, une invite à la modération.

Pourtant, passées les phrases de préambule, surgissent les invectives. Et voici le souvenir, ancré dans l’esprit de tous les élèves que nous avons été, du professeur chahuté. D’où viennent-ils, ces cris ? Des rangs de la France Insoumise, évidemment. Mais pas seulement : la caméra nous montre des députés rieurs et railleurs, à droite, à l’extrême droite aussi. Dans l’adversité, Michel Barnier joue le bel indifférent. Comment faire autrement ? Quand on n’est ni Jean Jaurès ni Philippe Séguin, mieux vaut poursuivre son chemin sans répondre ni commenter. Faut-il en déduire que le savoyard est fragile ?

L’énoncé des priorités et le chahut des députés

« Quiconque s’intéresse à la prise de parole dans l’espace politique ne peut être que choqué par le comportement des députés, dont le chahut rappelle en effet celui d’une classe indisciplinée, remarque Bernard Reber, directeur de Recherches au CNRS et membre du Centre de Recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF). Quand le besoin d’écoute n’est pas pris en compte, il y a là quelque chose de biaisé dans le fonctionnement de la démocratie. Ceci posé, Michel Barnier n’avait pas beaucoup d’options à sa disposition. Ne pas offrir la moindre aspérité restait sa meilleure carte. » Et, de fait, le programme présenté par le chef du gouvernement n’est pas vraiment transgressif : réduire les déficits mais solliciter la participation, par l’impôt, des plus riches – entreprises et particuliers réunis, – recherche de l’efficacité administrative, consultation des syndicats pour corriger certains effets de la réforme des retraites… Il n’y avait pas dans ce discours de quoi bouleverser le champ politique.

« Il est vrai que Michel Barnier ne pouvait pas être clivant, reconnaît Bernard Reber. Mais faut-il encore souligner que d’autres solutions, explorées, n’ont pas porté leurs fruits ? Le Nouveau Front Populaire n’a pas réussi à élargir son spectre, Bernard Cazeneuve et Xavier Bertrand n’ont pas été soutenus par leurs familles politiques respectives. Etant données les difficultés dans lesquelles se débat notre pays, étant donnée la répartition des forces politiques au sein de l’Assemblée, j’ajouterai du fait de son parcours, de sa personnalité, je pense que le nouveau Premier ministre n’est pas en si mauvaise posture que cela. »

Bien sûr, les déclarations de Bruno Retailleau sur l’Etat de droit, les mises en gardes formulées par Gabriel Attal – y compris dans la réponse qu’a formulée le président du groupe Renaissance, hier, au discours de politique générale – peuvent donner le sentiment que le chef du gouvernement n’a pas beaucoup de marges de manœuvre, qu’il est même déjà en sursis. Mais puisqu’il n’a pas grand-chose à perdre, le Premier ministre ne pourrait-il pas se sentir d’autant plus libre ?

La mise en oeuvre du fameux « en même temps » ?

« D’une façon que l’on pourrait juger paradoxale mais qui me semble, au contraire, en cohérence avec la situation politique actuelle, je pense que Michel Barnier va mettre en musique, cette fois-ci pour de vrai, le fameux « en même temps » présidentiel, estime Bernard Reber. Il a composé une équipe dont les membres sont loin de partager les mêmes convictions, les mêmes buts. Il devra donc, dans un premier temps, les convaincre de le suivre par une politique d’équilibre. Il sera contraint, dans un second temps, de convaincre les élus qui se trouvent en dehors des formations qui l’appuient, puisqu’il ne peut disposer du soutien que d’environ 220 députés. Si l’on prend de la hauteur, on peut dire que nous sommes encore très loin d’un gouvernement de grande coalition, de l’émergence d’un compromis dynamique, mais que les marges de négociations, tout particulièrement à l’échelle territoriale, existent.»

L’avenir est donc ouvert. On nous permettra cependant de déplorer la maigre place accordée par Michel Barnier, dans son discours en tout cas, à la culture. Deux phrases très générales, un point c’est tout. Les cyniques et les blasés diront : « C’est la règle du jeu ». Mais nous ne nous y résignons pas. Ne serait-ce qu’au souvenir d’un très beau film…

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