Quand on rencontrait Mireille Delmas-Marty, l’idée s’imposait, tenace bien que saugrenue, que cette brindille à chaque pas menacée de tomber jadis, avait dû courir la ville en amoureuse, émerveillée du monde, espérant la réconciliation des peuples de la terre. On sentait bien qu’au diable cette femme envoyait ses vulnérabilités. Le droit, la justice et la dignité de la personne humaine, tel était le triptyque de ses convictions. Voilà pourquoi sa jeunesse brillait encore en elle, des yeux de feu dans un sourire enjôleur.

Avoir quinze ans lorsque Guy Mollet mobilise et vingt ans quand Maurice Papon autorise une épouvantable répression contre les algériens de Paris, cela vous trace une conduite. Arrivée par un travail constant jusqu’au plus haut de degré de la nomenclature académique – elle fut professeure au Collège de France et membre de l’Institut de France, donna des cours à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales– Mireille Delmas-Marty s’est battue toute sa vie contre les injustices. Alors elle parlait, d’une voix ferme, inoxydable aurait-on dit ; parfois même elle écrivait, des livres drus qui dénonçaient l’arbitraire et promouvaient ce que l’on pourrait nommer une certaine vision des choses. Elle rappelait sans se lasser que les principes de Montesquieu n’étaient pas faits pour les musées, que rien n’était gravé dans le marbre, et s’insurgeait contre l’indifférence, quand tel ou tel abus de pouvoir attaquait la lettre et l’esprit de la République.

Un véritable droit international démocratique

Dès 2012 elle s’était engagée dans l’aventure formidable de l’Observatoire Pharos du pluralisme des cultures et des religions. Rien que des coups à prendre quand on y songe : à tout bout de champ rappeler que la dignité de l’Homme exige un peu plus, un peu mieux que le rejet des étrangers, ce n’était pas suivre la mode il y a dix ans de cela. De nos jours, est-il besoin de le dire ?, c’est encore pire. Mais elle continuait malgré tout. D’où tenait-elle cette ténacité ?

Rattachée par sa mère aux Monod, Mireille Delmas-Marty était protestante. Elle considérait que son ancrage ne valait pas prix de perfection mais, fidèle à son éthique et sa rigueur, elle alertait sans cesse nos concitoyens. Son genre était la lucidité. Modeste, elle croyait de toutes ses forces qu’il était possible de faire advenir un véritable droit international démocratique. Bien entendu, quand elle évoquait cette ambition, c’était une projection dans l’avenir. Mais elle y travaillait sans fléchir, assurée qu’il n’est pas de grande entreprise qui se construise autrement que pas à pas.

Quand Mireille Delmas-Marty vous donnait congé, les idées qu’elle avait émises demeuraient, simples comme bonjour – et pourtant si souvent piétinées. Qu’en ferions-nous? C’était cela le fond de l’affaire : il ne fallait pas seulement les écouter, les transcrire. Il fallait encore s’en emparer, se les approprier, puis les transmettre, vite et bien, sans esbroufe, de sorte que la chaîne se déploie, sensible et puissante à la fois, de sorte que l’humanisme l’emporte une bonne fois pour toutes.
En écoutant le grand concours d’âneries qui se déroule actuellement chez nous sous le nom de campagne électorale- aimez-vous l’idée de construire un mur à la frontière de l’Union européenne?…on espère que des barbelés jalonneront bientôt la promenade des Anglais, que l’on puisse enfin nager en sans être importuné…- chacun pourra se demander comment se comporter. Mais le message de Mireille Delmas-Marty ne sera pas un feu de paille.