À l’occasion de la commémoration du dixième anniversaire de l’attentat de Charlie Hebdo, il a beaucoup été question de savoir si les Français étaient encore aussi unanimes que lors des manifestations du 11 janvier 2015 à se dire « Charlie ». Un sondage publié par l’IFOP le 7 janvier dernier remarque que ceux-ci sont certes bien plus nombreux qu’avant les attentats à considérer que la liberté d’expression est un droit fondamental qu’il s’agit de défendre absolument (58 % en 2012, 76 % aujourd’hui). Mais, à la question de savoir s’ils se mobiliseraient tout autant dans l’hypothèse où un tel attentat se reproduirait, les chiffres montrent nettement moins d’approbation : seuls 71 % des Français respecteraient une minute de silence en hommage aux victimes (80 % en 2020). Ils seraient encore moins nombreux à participer à une manifestation sous la bannière « Je suis Charlie » (44 % aujourd’hui contre 53 % en 2020).
Il convient donc de s’interroger, sans indignation morale a priori, sur les réserves de ceux qui, désormais, ne souhaitent pas endosser ce fameux slogan. Le refus de la nouvelle Miss France de se prononcer sur ce sujet à la radio doit ainsi nous alerter. Parce qu’elle n’a pas souhaité répondre, en invoquant son devoir de réserve, elle est devenue la cible des réseaux sociaux, qui en la menaçant directement, l’ont sommée de se justifier. Doit-on, au nom de la sauvegarde de la liberté d’expression, aller jusqu’à dénier tout droit en la matière à ceux qui ne souhaitent pas s’aligner complètement sur les standards maximalistes prônés par l’hebdomadaire satirique ? Ce qui reviendrait à dire que l’on devrait – paradoxalement – dénier tout droit à la liberté d’expression à ceux qui n’en partagent pas la même conception…
Valentine Zuber, historienne, professeure à l’Université, pour « L’œil de Réforme »