Parmi les vidéos qui circulent sur Internet et les réseaux sociaux, il y a les blagues, souvent pertinentes, et aussi les leçons de morale au premier degré dont on aurait tort de se moquer. J’en distinguerai une, qui a le double mérite d’être excellente sur le fond et magnifique dans la forme : « Petit Corona : Discussion avec papa », par Fred Zanghi. (1)
C’est une conversation très douce entre un père (anonyme) et son petit garçon, Corona. L’enfant demande à son père pourquoi il tient à l’envoyer sur la terre. En résumé, c’est parce que le père a décidé qu’il fera tout pour protéger la terre contre l’avidité des humains, leurs pollutions, leurs guerres, leur égoïsme. Quand l’enfant lui demande pourquoi il est si dur, et pourquoi il n’a pas donné d’avertissements, le père répond qu’il a déjà envoyé « des maladies comme des arcs-en-ciel » pour inviter les humains à « voyager dans leur monde intérieur » et à se regarder « sans masque ». Le montage ne prophétise pas ce qui en résultera : « on verra ».
Le père n’a pas de haine contre l’humanité. Il est d’une grande sérénité, mais aussi d’une grande résolution.
Sommes-nous comme Pharaon ?
Ce film de 10 minutes, d’une iconographie très riche, ne comporte aucune dimension judéo-chrétienne. Il est spiritualiste aconfessionnel, bien dans l’air du temps (la fin se termine sur une reprise de « Imagine », là aussi bien dans l’air du temps). Pourtant, on ne peut pas s’empêcher de penser que le père est ici le Père, plus exactement le Créateur, qui a décidé que les humains ne saccageraient pas impunément sa création. Et pour cela, il recourt à la méthode utilisée quand Pharaon refusait de laisser sortir les Hébreux d’Égypte. Devant l’obstination du souverain, il lui envoie un, deux, trois, et davantage de fléaux jusqu’au dixième où, là enfin, accablé, il laissera partir Moïse avec le peuple. On notera d’ailleurs qu’aussitôt après, il se repentira de son repentir et entraînera toute son armée à l’anéantissement lorsque les eaux de la Mer des Joncs (et non de la Mer Rouge) l’engloutiront. Le « on verra » de la fin du film dit bien que, peut-être, le message ne sera pas entendu ; que, peut-être, le « monde d’avant » reviendra ; que, peut-être, nous ne voudrons rien réformer de nos habitudes. J’y reviendrai à la fin de cet article. (2)
Vers un nouveau Déluge ?
Peut-être alors s’attendra-t-on de la part du Créateur à une colère dévastatrice, telle que celle qui est rapportée dans l’histoire du Déluge, d’où ne réchappèrent que Noé dans son arche avec sa femme, leurs trois fils et les trois femmes de leurs fils. Dieu aurait d’ailleurs, encore aujourd’hui, toutes les raisons de le faire : « Le Seigneur vit que le mal des humains était grand sur la terre, et que leur cœur ne concevait jamais que des pensées mauvaises. Le Seigneur regretta d’avoir fait les humains sur la terre, et son cœur fut affligé. Le Seigneur dit : J’effacerai de la terre les humains que j’ai créés. »(3) Avouons que nous sommes parfois séduits par des pensées exterminatrices. Ah ! si Dieu avait l’idée d’exterminer le régime stalinien de la Corée du Nord, les Talibans d’Afghanistan, la Russie, la Chine, les États-Unis, etc. (mettez-y vos pires ennemis)… mais pas nous – évidemment. Tout irait tellement mieux si les méchants étaient rayés de la carte. Mais les méchants subsistent, et subsisteront, car il n’y aura plus de Déluge universel. C’est l’épisode du fameux arc-en-ciel : « Je ne maudirai plus la terre à cause des humains, parce que le cœur des humains est disposé au mal depuis leur jeunesse ; et je ne frapperai plus tout ce qui est vivant, comme je l’ai fait. Tant que la terre subsistera, les semailles et la moisson, le froid et la chaleur, l’été et l’hiver, le jour et la nuit ne cesseront pas. […] J’établis mon alliance avec vous : tous les êtres ne seront plus retranchés par les eaux du déluge, et il n’y aura plus de déluge pour anéantir la terre. Dieu dit : Voici le signe de l’alliance que je place entre moi et vous, ainsi que tous les êtres vivants qui sont avec vous, pour toutes les générations, pour toujours : je place mon arc dans la nuée, et il sera un signe d’alliance entre moi et la terre. »(4) Je vois dans cette promesse le résultat double auquel nous assistons : nous ne serons plus anéantis, nous ne subirons « que » des fléaux, mais le résultat est que le mal continuera à se développer avec le bien jusqu’à la fin du temps. Jésus reprendra cela dans la parabole de la mauvaise herbe. Comme nous, les ouvriers agricoles aimeraient bien arracher la mauvaise herbe pour nettoyer le champ, mais Jésus réagit ainsi : « Non, dit-il, de peur qu’en arrachant la mauvaise herbe, vous ne déraciniez le blé en même temps. Laissez croître ensemble l’un et l’autre jusqu’à la moisson ; au temps de la moisson, je dirai aux moissonneurs : Arrachez d’abord la mauvaise herbe et liez-la en gerbes pour la brûler, puis recueillez le blé dans ma grange. »(5) Donc, nous ne serons pas débarrassés de la mauvaise herbe. Mais périodiquement, il y aura des maladies, des intempéries et des mauvaises récoltes pour nous inciter à mieux cultiver notre jardin.
La première pierre
Tous ces montages, textes, dessins, articles, livres qui sortent en cette période de confinement sont souvent très accusatoires. Presque toujours, ils sont sur le mode du « ils » : ils ont pollué, ils ont pillé, ils ont pris trop d’avions, ils ont acheté trop de voitures, ils ont fait des guerres. Moi, je me sens toujours très mal à l’aise avec ces dénonciations (certes souvent justes) parce que l’enfer, c’est les autres. Mais moi, dans le « monde d’après », qu’est-ce que je suis prêt à laisser tomber du « monde d’avant » ? Vais-je me débarrasser de mes voitures, abandonner ma tondeuse à gazon et nettoyer mon terrain à la faux, me chauffer à seulement 15°, ne manger que des pommes et plus jamais de bananes, boire du vin local et pas du whisky écossais, ou même seulement de l’eau ; ne plus aller en vacances ou alors très près, etc., etc. (et puis, peut-être, euthanasier mes enfants au-delà des deux petits pollueurs que j’estimerai avoir eu le droit de faire pour renouveler la population ?).
Dans un célèbre épisode de l’Évangile, des gens très religieux traînent devant Jésus une femme surprise en flagrant délit d’adultère. Ce passage d’origine mystérieuse est resté célèbre parce qu’on imagine que Jésus y fait preuve de « tolérance » envers la femme. Or, c’est un contresens. Il ne nie pas qu’elle ait fauté (et sans doute, lui, il comprend les raisons qu’elle a eues de s’y laisser aller ; mais c’est un autre débat). Ce qu’il nous dit, c’est que lorsqu’on accuse les autres, il faut d’abord se regarder soi-même : « Que celui de vous qui est sans péché lui jette le premier une pierre ! » (6)
Alors, moi qui suis pécheur-pollueur-pilleur, moi qui changerai peut-être quelques bricoles à mon mode de vie (mais probablement plus par nécessité que spontanément, comme la plupart d’entre nous), je ne me sens pas très à l’aise pour désigner des coupables…
Dernière remarque : très peu de chrétiens osent dire que c’est Dieu qui a envoyé le Covid-19. D’autres le disent à leur place. En ce qui me concerne, je n’en sais rien. Cependant, je pense que Dieu ne livre rien au hasard et que, de facto, cette pandémie (qui n’est pas pire que la grippe de Hong-Kong qui passa inaperçue en 1968-69 malgré le million de morts qu’elle fit, dont 30 000 rien qu’en France) comporte un message qu’il nous faut écouter attentivement. J’en vois au moins un : notre frénésie économique, censée devoir turbiner 7 jours sur 7, faute de faire des pauses, a été stoppée. C’était donc possible. Il faudra le rappeler aux cinglés qui font ouvrir les commerces le dimanche…
1- https://www.youtube.com/watch?v=6aF-4f3quEg . On peut seulement regretter que, à 9’18, la photo d’Aung San Suu Kyi figure à côté de celle de l’abbé Pierre et de Mandela. Les Royingyas apprécieront. Et une belle faute de conjugaison pour finir.
2- L’histoire de la sortie d’Égypte est dans la Bible, Exode ch. 3 à 14. Voir aussi le film Les Dix Commandements.
3- Genèse 6.5-7a.
4- Genèse 8.21-22 ; 9.11-13.
5- Matthieu 13.29-30.
6- Jean 8.7.