Sursoir plutôt que choisir, et faire comme si. Tenir la position – comme on dit au jeu d’échecs quand la situation d’un joueur empêche qu’il fasse preuve d’audace – et déclarer que la solidité l’emporte sur l’aventure, la stabilité sur l’incertain. La confirmation d’Elisabeth Borne à son poste de Première ministre tient de cette stratégie. Deux crises violentes et la multiplication des injonctions contradictoires ont changé cette femme de devoir en attache élimée – d’où vient-elle cette expression, « usée jusqu’à la corde » ?
On ne voit pas comment l’attelage pourrait durer. Mais il dure. Le Président n’est pas un mou. Dans sa main, nerveuse peut-être mais ferme, il ne lâche pas prise. Il attend son heure et refuse, marque indélébile des vrais politiques, de subir les événements. Jusqu’à quand ? Le pays n’a pas encore dit son mot, qui pourrait bien le contraindre. Mais Emmanuel Macron veut garder la main libre.
Tout a commencé le 17 avril dernier, lorsque le Président de la République a fixé un objectif à Elisabeth Borne. « Nous avons devant nous cent jours d’apaisement, d’unité, d’ambition et d’action au service de la France » avait-il déclaré, promettant de dresser le bilan de la période ainsi délimitée le jour de la Fête nationale. Cent jours, depuis 1815, cela sonne un peu mal. Mais c’est un compte rond. Le rythme ternaire des mois rassure, donne une touche classique à l’échéance.
On ne fait pourtant pas ce que l’on veut, même quand on préside la République. Et les émeutes ont bouleversé le programme. Faut-il en déduire que ce sont elles qui ont fait passer l’interview présidentielle du 14 juillet à la trappe ?
La traditionnelle interview du 14 juillet
Drôle de rendez-vous télévisé. Le portail « Vie publique » permet d’en lire la transcription complète depuis 1978, date à laquelle Valéry Giscard d’Estaing l’inventa. Plus informelle qu’une conférence de presse ou qu’une intervention solennelle, au fond typique du giscardisme – une façon de rappeler qui décide en se voulant pédagogique et décontracté – cette prise de parole a trouvé sa place dans le dispositif médiatique des Présidents. Juste après le défilé militaire, le chef des Armées traçait des perspectives, alors que s’amorçaient les Grandes vacances, le chef de l’Etat scandait le changement de rythme. Au fil des années, les lecteurs curieux pourront le vérifier, les grandes affaires de la France ont cependant laissé le champ libre au commentaire de l’actualité, la fonction présidentielle, même un 14 juillet, se trouvant rapetissée.
Parler, certes, mais pour dire quoi ?
Chacun le sait, parler pour ne rien dire contribue d’autant plus au discrédit de vos interventions. L’indifférence de nos concitoyens à l’endroit de leurs élus n’ayant pas besoin d’être alimentée pour être vive, Emmanuel Macron a décidé, quatre fois depuis 2017, de ne pas prendre la parole le jour de la Fête nationale.
Sauf qu’il s’était engagé à s’exprimer. Le silence a dramatisé la situation. Nombre de journalistes ont commencé à penser, à écrire, à laisser croire qu’Elisabeth Borne allait être remplacée.
L’été favorise, on l’oublie trop souvent, de tels changements ; c’est au mois de juillet que Jacques Chaban-Delmas a été débarqué par Georges Pompidou, que Laurent Fabius a succédé à Pierre Mauroy. Certains n’ont pas hésité à prédire un événement stratosphérique : un référendum ou la dissolution de l’Assemblée nationale. Mais alors, à quel moment ? Sous quel prétexte ?
La délicate question du timing
Osons le dire, on a pu s’imaginer que la mort de Jane Birkin donnerait à Elisabeth Borne un sursis, la couverture médiatique attribuée au décès de la chanteuse et comédienne empêchant les Français de prendre la mesure d’une décision politique d’envergure. Une exagération ?
« Nous vivons un temps submergé par l’émotion, au détriment du sentiment, autrement dit des passions contrôlées, limitées, nous déclare un fameux politologue préférant, une fois n’est pas coutume, s’exprimer de manière anonyme. Plutôt que de ramener les citoyens à la raison, le pouvoir exécutif laisse vivre les passions. »
Rien ne s’est produit. Du moins pour l’instant. A l’heure où sont écrites ces lignes, on ignore encore si Marlène Schiappa, si Pap Ndiaye, d’autres ministres encore, préparent leurs cartons. Mais un remaniement technique, on en fait le pari, ne changera rien à la donne politique. Attention cependant. Madame Borne va continuer de gouverner, poursuivre son chemin. La persévérance est une force.