Le 24 avril, Emmanuel Macron sera peut-être le premier président sortant réélu au suffrage universel en ne faisant pas face à une cohabitation. Mais ce n’est pas gagné. Bien sûr, ici même, on a souligné que le résultat d’un premier tour indique toujours, par le jeu prévisible des reports, le résultat du second. Bravache, nous maintenons cette affirmation : Marine Le Pen devrait être battue. Mais il ne faudrait pas que le vainqueur potentiel oublie quelques règles d’usage, à commencer par celle-ci : ne jamais vendre la peau de l’ours avant d’avoir tué l’animal.
Or, dimanche, quelles étaient les premières images du président-candidat ? Un ballet de berlines accompagnées de motards. Elles nous rappelaient celles de Jacques Chirac, élu pour la première fois le 7 mai 1995, roulant dans la nuit de Paris. Sauf que, d’une part, traiter l’actuel candidat comme s’il était vainqueur avait quelque chose de choquant, puisque, précisément, il n’a pas encore vaincu ses adversaires (une réplique du 23 avril 2017, quand le jeune chef de file d’En Marche avait fêté son accès au premier tour, à la brasserie La Rotonde, comme s’il avait déjà gagné) ; d’autre part, là où Chirac saluait les passants, l’actuel chef d’Etat ne se montrait pas, caché derrière les vitres fumées de sa berline.
Rock star ou Jupiter ? En tout cas loin des foules. Pour un homme qui s’apprête à solliciter le suffrage d’électeurs qui, pour la plupart, le détestent, il y a là, plus qu’une erreur de communication : une faute de goût.
Pour analyser la situation critique où notre pays se trouve, nous avons puisé dans un choix des œuvres de Pascal Ory que publie ces jours-ci la collection Bouquins. Son titre ? « Ce côté obscur du peuple » (992 p. 32 €). Lumineux, l’historien note ceci : « L’époque contemporaine peut se définir comme une grande crise d’espérance, fondée sur la superposition à une défaite absolue – celle de la gauche radicale – d’une défaite relative, celle de la droite libérale. La première est absolue en ce sens qu’elle a enchaîné, à ses trois stades (le russe, l’asiatique, le postcolonial) trois échecs sans aucune réussite durable, ce qui fait beaucoup pour un seul petit siècle de soixante-quinze ans. La défaite libérale, quand à elle, est à l’image de ses partisans, moins éclatante et, par là-même, moins profonde, mais elle n’en est pas moins palpable. »
On devine vos objections : le bon score de Jean-Luc Mélenchon, la première place d’Emmanuel Macron, ne montrent-ils pas la vitalité de la gauche radicale et du courant libéral ? Minute. Si Jean-Luc Mélenchon, pour la troisième fois consécutive, a manqué la marche du second tour, n’est-ce pas justement parce que nos concitoyens sont conscients que c’est sur des programmes à l’inefficacité démontrée, qu’il a fondé sa politique ? Et si le candidat-sortant subit pareil rejet, n’est-ce pas précisément parce que les Français perçoivent, derrière la nouveauté, quelques vieilles lunes ultralibérales de Milton Friedman dont Michel Rocard affirmait qu’elles valaient bien des crimes de guerre?
Crise d’espérance écrit Pascal Ory.
Comme un remède illusoire, la tentation populiste s’avance.
Et sur ce point aussi, l’historien nous éclaire à nouveau : « Le populisme est une idéologie de synthèse qui permet à la droite de trouver le chemin des classes populaires en adoptant un style de gauche ; la radicalité est une mythologie qui rapproche les extrêmes dans un rejet commun de la réforme et du compromis et facilite le cas échéant, la circulation de l’un à l’autre. Dans certaines conditions de température et de pression politiques, la radicalité de gauche ou la radicalité populiste peuvent accéder au pouvoir. Elles en font alors – dans cet « alors « se niche l’Histoire- un usage qui satisfera, en proportions variées, le goût de l’absolu qui anime les radicaux et la servitude volontaire qui anime les populistes. On appelle cela une catastrophe. »
Depuis quelques jours, tout le monde a compris que la situation exige des paroles de poids, des gestes lestés, de le la solennité. Or, dimanche soir, Emmanuel Macron nous a paru bien fébrile quand il s’est adressé à ses supporters. Au milieu d’un public tout acquis, le balancement de ses épaules traduisait l’instabilité du combattant groggy plutôt que le swing d’un styliste du ring. Le candidat-président avait le devoir de se montrer, d’emblée, solide face à l’épreuve. Tout au contraire, il a semblé fragile. Sans doute va-t-il se ressaisir. Mais ce moment de faiblesse publique nous a rappelé ce que l’économiste et sociologue Pierre Larrouy nous avait déclaré voici déjà cinq ans : « Emmanuel Macron manque d’épaisseur réticulaire ». Autrement dit, cet homme qui brille d’une intelligence hors du commun, séducteur comme pas un, rapide comme l’éclair, ne parvient pas à réunir en lui-même toute la profondeur et les ramifications complexes du pays.
L’extrême droite est aux portes du pouvoir et nul ne doit douter qu’elle détruirait ce qu’est la France. L’urgence est là. Deux semaines, cela peut être long…