Dimanche 24 avril, aux pieds de la Tour Eiffel, un DJ faisait danser des ministres et les militants de la République en Marche. On a pensé que cela manquait de classe. Non par une forme de psychorigidité calviniste, mais par un élan d’analyse sociologique.

Oh bien entendu, la joie du vainqueur faisait plaisir à voir et la bouille de la petite fille qui se trouvait à sa droite aurait attendri n’importe quel électeur sectaire. Mais la liesse, mise en scène de la sorte, avait quelque chose de déplacé.

Bien qu’il se soit présenté comme « le président de toutes et tous », Emmanuel Macron ne pourra pas se contenter de choisir l’écologie comme cheval de bataille pour apaiser les tensions qui traversent le pays.

Car enfin, si la candidate du Rassemblement national a de nouveau échoué, c’est avant tout parce que nos concitoyens rejettent la partie de son programme qui contrevient à notre imaginaire, à ce qui fait la grandeur de la France. Mais le jour où Marine Le Pen abandonnera la préférence nationale et ce qui en découle… alors, oui, si le chef de l’Etat veut vraiment rassembler, il doit tirer les leçons d’un scrutin peut-être plus classique qu’il n’y paraît.

« La lutte des classes, longtemps refoulée, renaît sous nos yeux, souligne l’historienne Fanny Cosandey, qui publia voici quelques années un formidable ouvrage, « Le rang » (Gallimard, 491 p. 28€). Les politologues et les commentateurs n’osent pas toujours le dire de cette manière, alors ils évoquent la répartition des voix, soulignent que les partisans de Marine Le Pen se trouvent surtout dans les petites villes, dans les communes rurales, et qu’Emmanuel Macron rallie à lui les habitants des métropoles. Mais c’est une façon de contourner l’obstacle. En réalité, nous assistons bel et bien à la résurgence d’un vote de classe. »

Même l’accusation d’arrogance, qui se porte sur le Président, traduit cette renaissance. On pourra dire avec Jacques Attali – dont la modestie n’est pas la qualité première – que « cette accusation n’est pas nouvelle et ne s’adresse pas qu’à lui », qu’elle « vise toute personne faisant preuve de connaissance ou de compétence et qui, maladroitement parfois, ne fait pas l’effort de le cacher. »  Mais ce reproche exprime un malaise qui va croissant dans notre société.

« Je ne sais pas si le président de la République est arrogant, mais à coup sûr il est imprégné d’une assurance sociale, estime Fanny Cosandey. Cette confiance, Marine Le Pen en dispose également, puisqu’elle a été élevée dans un confort matériel évident. S’ils se distinguent, c’est plutôt par l’adoption de leurs postures, qui séduisent les électeurs en fonction de leur appartenance sociale. »

A celle-ci les petits, les sans-grades, à celui-là les vainqueurs. En suivant cette analyse, on comprend mieux qu’en dépit de leur détestation pour le président sortant les électeurs de Jean-Luc Mélenchon aient pu faire barrage à la candidate du Rassemblement national : appartenant pour la plupart aux classes moyennes – souvent même aux classes moyennes intellectuelles – ils se reconnaissent plus en Emmanuel Macron qu’en Marine Le Pen.

« Je pense que nous avons déplacé la question de la lutte des classes en parlant de l’immigration, de la pluralité des cultures ou des références religieuses, en évoquant le populisme ou bien le souverainisme quand les électeurs contestent les choix politiques réalisés par les présidents successifs, ajoute Fanny Cosandey. L’effondrement du système soviétique et du communisme issu de la révolution russe a discrédité toute référence au marxisme, alors même que les rapports de classe n’ont jamais disparu, que les pauvres et les riches existent encore et que l’œuvre de Marx pourrait, au moins en partie, nous aider à comprendre ce qui nous arrive. »

Les protestants ne sont pas très à l’aise avec l’intellectuel de Trêves. Ils lui préfèrent Max Weber ou des approches plus spirituelles. Mais ils pourront lire ou bien relire le « Karl Marx » de Bernard Cottret, pour se rendre compte que le penseur luthérien ne manque pas de ressources.

Avec son air de ne pas y toucher, le président des Républicains, Christian Jacob, a résumé le problème : « En additionnant les voix qui se sont portées aux extrêmes, c’est un cri d’alerte, un vote de désespérance  ». Il est urgent d’y répondre.

  • A paraître le 11 mai: Fanny Cosandey : « Reines et mères, maternité et politique dans la France d’Ancien Régime. » Fayard 350 p. 20,90 €