Voici bien le genre d’article qui peut susciter l’ironie : recommander à des lecteurs de se méfier des écrans par un texte mis en ligne sur Internet, et donc disponible sur un téléphone ou un ordinateur, n’est-ce pas formuler quelque injonction paradoxale ? Servane Mouton, neurologue, est comme tout le monde : elle consulte son smartphone et des documents en ligne à la longueur de journée. Mais l’exercice de son métier lui a fait prendre conscience des dégâts provoqués par un usage excessif de ces drôles de machines. En publiant « Ecrans, un désastre sanitaire, il est encore temps d’agir » (Gallimard, collection Tracts, 64 p. 3,90 €), elle nous invite à la lucidité, nous encourage à des pratiques plus raisonnables.
Quelques informations pratiques pour commencer
Juste avant le confinement, décision protectrice qui, nous le savons, a conduit nos concitoyens (de tous les âges) à consulter davantage encore internet, le temps passé devant un écran pour se divertir – il faut insister : les chiffres que nous allons partager ne tiennent pas compte des heures consacrées au travail ! – est proprement délirant. A 2 ans : 56 minutes par jour, à 2 ans et demi 1h20, à 3 ans 1h35, à 10 ans et demi 2h36. Une autre source révèle que les sujets de plus de 18 ans passent en moyenne 4h50 à se divertir devant des écrans. « C’est dans le cadre d’une formation consacrée aux troubles des apprentissages scolaires que je me suis posée la question des effets de l’exposition aux écrans sur le neuro-développement, nous déclare Servane Mouton. Ma réflexion est aussi guidée par l’observation de la vie quotidienne : voir combien d’enfants, d’adolescents et d’adultes, fixent leur attention pendant de longues périodes, sur des écrans. »
Nombre de déséquilibres sont engendrés par le recours outrancier à l’usage des écrans : troubles de la vue, comportement de plus en plus agressif, difficulté à comprendre et mémoriser des informations.
Prendre conscience des risques
« Il faut que les usagers aient conscience des effets néfastes de ces outils, souligne notre interlocutrice. Par ses caractéristiques physiques, l’écran a des effets sur la vision, sa richesse en bleu se révélant nuisible à la rétine de nos yeux ; par son caractère sédentaire, mais aussi par l’excessive consommation de calories, parce qu’avoir une activité autre que manger en mangeant donne le sentiment de ne pas être nourri à satiété, par la dette chronique de sommeil qu’elle peut favoriser, la consultation d’un écran augmente les risques de maladies cardio-vasculaire. » Et notre neurologue d’ajouter que les jeunes sont plus vulnérables encore parce que leur corps est en construction. Les habitudes qu’ils prennent (ou pas) vont avoir de fortes chance sou de forts risques de perdurer à l’âge adulte. Les relations à l’autre, la capacité d’apprendre en sont dégradées.
L’usage des ordinateurs à l’école
Les pouvoirs publics encouragent cette consommation, notamment dans l’Education nationale. Bien entendu, l’usage de l’ordinateur est bénéfique à des jeunes – ou des adultes – en situation de handicap, et l’on peut soutenir leur utilité dans ce contexte particulier. Mais le recours aux ordinateurs et tablettes en classe est-il utile ? « Il n’y a pas d’élément scientifique soutenant l’intérêt de déployer largement l’outil numérique dans l’enseignement, y compris l’IA, comme cela est porté actuellement en France, observe Servane Mouton. Tout au contraire, on sait que le support papier est plus efficace pour la compréhension et la mémorisation d’un texte. On sait aussi l’importance première de l’enseignant et de la relation enseignant-élève. De surcroît, la grande majorité des applications « pédagogiques » du numérique n’ont pas été évaluées ni validées scientifiquement. »
Une réflexion qui doit être collective
A l’opposé de ce que l’on aurait pu croire, nos concitoyens ne se réfugient pas dans le déni. C’est une question dont on parle ouvertement, de plus en plus, en famille ou dans des rencontres amicales. Parce que cette technologie nous a envahis de façon fulgurante et sans concertation, parce qu’elle occupe un terrain considérable, nombre de gens s’inquiètent et s’interrogent. Servane Mouton veut les encourager. « Je ne suis pas technophobe, mais techno-critique, dit-elle. Réfléchir à la place du numérique est mon ambition, mais cette réflexion doit être en réalité collective. C’est une économie très matérielle, au contraire de l’image qui en est répandue : l’eau, les métaux, les terres rares, l’énergie, font l’objet d’une consommation considérable, dans des conditions souvent scandaleuses. » Dans notre vie quotidienne, il peut nuire à la qualité des relations humaines, comme l’atteste le témoignage des parents, qui constatent que les adolescents font sauter en quinze jours tout au plus les systèmes de verrouillage de leurs machines. « La consultation des écrans ne cesse d’augmenter, et nous ne parvenons pas à protéger correctement les jeunes des contenus inappropriés, notamment violents ou pornographiques, déplore encore notre interlocutrice. Il pourrait être judicieux de nous discipliner, de nous appliquer à nous-mêmes les règles que nous recommandons à nos jeunes : pas d’écran à table, ni lors des si essentiels temps partagés, de discussion, de jeu, de balades, pas d’écran dans la chambre à coucher… »
Quel rapport au monde voulons-nous cultiver ? Prendre la « toile » pour un champ de culture ? Ou confondre Internet avec les parois d’une caverne ? A nous d’y réfléchir. En lisant Platon peut-être, ou bien avec des amis, lors d’un bon repas. Mais téléphones éteints. Promis !
A lire :
« Ecrans, un désastre sanitaire, il est encore temps d’agir », par Servane Mouton, (Gallimard, collection Tracts, 64 p. 3,90€)