Sylvain Cuzent se demande quelle place pour la mémoire, en particulier douloureuse, dans les projets d’avenir.
Les terribles témoignages qui se succèdent à la barre du tribunal appelé à juger les auteurs et complices présumés des attentats de novembre 2015 au Stade de France, au Bataclan ou en terrasses, sont glaçants d’horreur. Ils laissent entrevoir ce que les survivants de ce drame ont dû supporter, ce qu’ils ont vu ou entendu, les odeurs qu’ils ont perçus, les bruits entendus, les sensations ressenties, les regards qui, comme le dit l’une d’entre eux, « resteront gravés dans ce putain de noir ».
Ces femmes et ces hommes racontent aussi le temps d’après, leur lente reconstruction, les multiples opérations pour certains, les séquelles, la vie bouleversée…
Les mots parfois insupportables qu’ils utilisent à la barre, et qui nous sont rapportés par les journalistes présents au procès, nous font toucher du doigt le cauchemar de ces instants où la vie bascule, ces moments entre vie et mort. Comment raconter ? Comment oublier ? Comment se souvenir sans devenir fou ?
Mémoire douloureuse
Ce moment de mémoire, indispensable à la justice est aussi un temps où nous tous qui n’étions pas présents, ni au stade de France, ni sur une terrasse, ni au Bataclan, pouvons prendre conscience de ce qui s’est passé, ce que les victimes ont vécu et vivent encore.
Ce temps de mémoire rejoint celui de l’anniversaire de l’horrible et inimaginable assassinat de Samuel Paty, ce professeur de Conflans Sainte Honorine, et le soixantième anniversaire de la terrible et honteuse répression de la manifestation appelée par le FLN le 17 octobre 1961 à Paris.
D’anniversaire en commémoration, la France est en ce mois d’octobre confrontée à sa mémoire, mémoire douloureuse à travers ces trois évènements. Dans quelques jours, le 11 novembre, la nation tout entière sera appelée à se souvenir de ceux qui sont morts pendant la première guerre mondiale. Nous ne les avons pas connus bien sûr et les chiffres ne disent pas grand chose (20 millions !) mais à travers les témoignages du procès en cours nous pouvons imaginés ces vies brisées et ces vies qui ne connurent pas de descendance. Comme Abel tué par Caïn !
Devoir d’avenir
C’est souvent à l’occasion de la commémoration d’évènements tragiques que notre mémoire collective est sollicitée dans ce qu’on nomme aujourd’hui un « devoir de mémoire » expression qui désigne et postule l’obligation morale de se souvenir d’un événement tragique et de ses victimes, afin qu’il ne se reproduise pas. Parce que comme le dit Elie Wiesel : « Le bourreau tue toujours deux fois, la seconde fois par l’oubli ».
Dans un tout autre ordre la Mission populaire a voulu prendre le temps de se retourner sur son passé. Il ne s’agissait pas de commémorer un évènement tragique mais de revisiter les grands moments de son histoire et des idées qui l’ont traversée. Avec celle-ci, exprimée par Paul Ricoeur, qu’ « il y a une sorte de réciprocité entre la capacité de faire des projets et la capacité de se donner une mémoire ». En d’autres termes nous tourner un moment vers le passé pour mieux nous tourner vers l’avenir. Non pas en oubliant immédiatement ce qui a été, mais en puisant dans le passé les enseignements et la force qui nous permettent d’aller de l’avant.
Sans doute est-ce aussi qui est recherché dans ces actes de justice ou commémoratifs : contacter l’énergie de vie qui nous aide à vivre le présent pour qu’ensemble nous construisions l’avenir.