Souvent, l’accompagnement des personnes vulnérables est éducatif et unidirectionnel : nous avons le savoir et leur transmettons, sans solliciter leurs ressources. À quelles conditions peut-on rendre l’environnement « capacitant », prenant appui sur l’individu et sur ses capacités, qu’on sous-estime souvent ? Il faut susciter ce qui, dans la relation d’accompagnement, permettra l’expression des capacités, des choix et fondamentalement, de ce que chacun est lui-même.

De l’ancien et du neuf

Il y a dans le concept d’empowerment de l’ancien et du neuf, du banal et du révolutionnaire. Dire que toute personne, même vulnérable, a une liberté personnelle est très ancien. Chacun a le droit de décider lui-même de ce qui est bon pour lui, c’est une notion fondamentale de notre droit constitutionnel. Ce qui est neuf, c’est qu’elle s’invite dans la relation d’accompagnement : la protection à assurer ne doit pas se penser en restriction à la liberté mais en appui à son exercice. La personne accompagnée a besoin d’être aidée mais c’est elle qui doit décider, en étant accompagnée. Il y a un enjeu de posture professionnelle : j’aide la personne à discerner ce qu’elle estime bon pour elle et dans quelle mesure elle peut l’atteindre.

De la même manière, il est très banal et en même temps révolutionnaire de prendre appui sur les capacités de la personne. Certes, on l’a toujours fait, mais en répertoriant les manques et en comblant les trous. Les choses se déplacent, on ne regarde plus seulement les trous mais les pleins. La personne n’est pas ce qu’elle aurait dû être dans l’idéal, avec des choses en moins : elle est qui elle est, avec son handicap, sa réalité psychique, physique, ses potentialités. On se laisse surprendre, on passe d’une logique de « prise en charge » à un relatif « lâcher-prise ».

Une double inquiétude

Cette vision suscite une double inquiétude : la mise en danger de la personne vulnérable et la négation du rôle du professionnel. Sur le premier point, c’est vrai, la frontière entre la bonne prise de risque et l’inadmissible mise en danger est une question centrale et quotidienne de toute démarche d’aide à l’autodétermination.

Sur le second point, il faut rappeler que l’autodétermination n’a pas de sens en dehors d’une relation d’accompagnement. Loin de nier le travail professionnel, elle suppose des outils, des formations, des organisations de travail pluriprofessionnelles et responsabilisantes, plus d’ouverture vers les familles, un appui éthique…

On entend parfois que certains handicaps très lourds ne sont pas concernés. C’est un contresens, c’est précisément dans ces situations que la question se pose avec le plus d’exigence. Reste à savoir si la société est prête. L’autodétermination entraîne un désir d’interaction sociale plus fort et la confrontation avec le milieu ordinaire reste rude. La société doit changer, se rendre accessible.

Le regard chrétien est en parfaite tangence avec le soutien à l’autodétermination, l’un comme l’autre promeut la dignité de la personne et invite à une transformation – on aimerait dire « conversion » – de la société pour la rendre accessible à tous. De ce point de vue, un projet associatif spirituel peut entrer, je crois, en dialogue constructif avec la société sécularisée. Le spirituel peut être un élément d’unification, sous réserve, même si la frontière est poreuse, de bien le distinguer du religieux.