Comment travaillez-vous ensemble ? En quoi êtes-vous complémentaires dans votre travail ?

Claire : Nous travaillons à partir de la même matière et nous interrogeons ensemble les personnes rencontrées, que ce soit en Alsace, aux États-Unis ou en Israël. Mais nous en tirons des choses différentes. Nous sommes tous les deux issus du monde universitaire avec la rigueur que cela suppose. On se nourrit l’un l’autre. Baptiste a un regard journalistique (il collabore pour France télévisions, Arte et Rue89 Strasbourg, ndrl) et moi un regard de metteur en scène. Nous sommes tous les deux attachés à faire entendre des réalités de vie.

Baptiste : Je suis le premier lecteur de Claire. Je l’accompagne souvent lors de ses déplacements. C’est d’ailleurs souvent elle qui impulse les idées. Nous menons aussi des projets à part l’un de l’autre, comme nos deux résidences. Je suis actuellement et pour quelques mois à Roubaix afin de sensibiliser les jeunes aux médias et les faire travailler eux-mêmes sur le traitement de l’information. (Claire a été à la rencontre de  collégiens d’Hénin-Beaumont, ville dirigée par le Front national, de janvier à mai 2017 et a travaillé avec eux pour ouvrir leurs horizons, notamment en rencontrant des jeunes de la classe de primo-arrivants, ndlr).

Avez-vous connu des retours négatifs, des incompréhensions sur votre travail et pourquoi selon vous ?  Au contraire, avez-vous senti des choses bouger après votre intervention ?

Claire : Pour reprendre ce qui s’est passé à Hénin-Beaumont, mon travail n’a pas été facile. Si l’Éducation nationale et la Direction des affaires culturelles m’ont demandé d’intervenir dans cette ville, peu avant les élections présidentielles, ce n’était pas un hasard. Le premier jour, j’ai senti la peur des élèves de rencontrer des migrants. Ils ont baigné dans une culture frontiste de rejet des autres. La Ville a d’ailleurs signé une charte « Ma commune sans migrants ». On a monté une pièce de théâtre avec les jeunes qui s’appelle Bienvenue à Hénin-Beaumont et on a placardé dans la ville 2000 affiches où il était écrit « Chaque homme est mon frère » ou des témoignages de réfugiées. Le maire Steeve Briois a essayé de porter plainte contre moi pour détournement d’argent public car selon lui, un artiste doit être neutre. Pour autant, je ne me considère pas comme militante, je mets en lumière une réalité que certains veulent cacher. Les collégiens ont compris d’eux-mêmes, en parlant avec d’autres jeunes migrants, et des amitiés se sont créées. La pièce a été un succès, nous l’avons jouée devant plus de 2000 personnes, dont 600 élèves.

Que voulez-vous transmettre aux jeunes ?

Baptiste : Je ne souhaite pas leur donner un cours théorique sur ce qu’ils doivent penser ou faire mais qu’ils se sentent touchés et pensent par eux-mêmes.

Claire : Quand on exhume des textes, comme celui d’Hanuš Hachenburg, un ado de 13 ans, ça parle aux jeunes qui ont le même âge. Ce qu’il a écrit nous permet de comprendre des choses aujourd’hui. Il parle d’un tyran qui veut imposer sa vision aux autres et pour y parvenir, joue sur la peur. Ça existe encore aujourd’hui.

Comment favoriser selon vous le vivre-ensemble tout en s’attachant à son identité ?

Claire : Prendre conscience de son identité amène à être plus tolérant. Si l’on regarde son arbre généalogique, on peut constater qu’on est tous des migrants parce qu’à un moment ou un autre, un de nos ancêtres a changé de région, de pays. J’ai plusieurs fois constaté que les gens se plaquent eux-mêmes ou qu’on leur plaque des identités réductrices qui les empêchent de voir les choses et les gens autrement. Il existe plein de manières de construire son identité et cela ne peut se construire qu’avec les autres. Nous sommes toujours l’autre de quelqu’un.