Les jeunes iraient-ils de moins en moins bien ? L’enquête EnClass 2022, réalisée auprès de près de 10 000 collégiens et lycéens, et dont les résultats ont été communiqués par Santé Publique France début avril 2024, révèle des chiffres inquiétants sur la santé mentale des jeunes. Bien que 8 jeunes sur 10 se déclarent en bonne santé mentale, une analyse plus fine des données montre une réalité plus nuancée : 21 % des collégiens et 27 % des lycéens déclarent se sentir seuls ; 51 % des collégiens et 58 % des lycéens rapportent des plaintes somatiques et psychologiques récurrentes ; 14 % des collégiens et 15 % des lycéens présentent un risque significatif de dépression ; 24 % des lycéens ont eu des pensées suicidaires au cours des 12 derniers mois, 13 % ont déjà tenté de se suicider, et environ 3 % ont été hospitalisés suite à une tentative.
Les filles plus touchées que les garçons
Ces chiffres révèlent une détresse mentale notable chez les adolescents, avec une sur-représentation des filles, jamais observée auparavant. Sur la base d’enquêtes menées depuis 2007, les données de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES-Ministère de la santé) pour 2021 et 2022 confirment cette tendance. Les admissions à l’hôpital pour gestes auto-infligés (tentatives de suicide ou automutilations non suicidaires de type scarifications) ont fortement augmenté : +71% d’admissions pour les filles de 10 à 14 ans et +44% pour les 15-19 ans. En 2022, sur les 85 000 personnes admises en hospitalisation générale pour un geste auto-infligé, les deux tiers étaient des femmes ou des filles.
Les taux d’admission en psychiatrie ont également explosé, avec une augmentation de 246 % pour les 10-14 ans, 163 % pour les 15-19 ans, et 106 % pour les 20-24 ans. Des conséquences légitimes des changements que notre société a connu ces dernières années ? Rien ne permet de l’affirmer car, étonnamment, cette progression fulgurante ne se retrouve pas chez les plus de 30 ans, ni chez les garçons ou jeunes hommes.
Pourquoi une telle différence entre les sexes ?
Plusieurs facteurs sont avancés pour expliquer cette disparité. Il est communément observé que les filles ont tendance à manifester davantage leur mal-être par des atteintes contre elles-mêmes, tandis que les garçons optent plus souvent pour des comportements à risque, des addictions ou des gestes violents envers autrui. De plus, les femmes consultent plus facilement pour des problèmes de santé mentale, alors que les garçons font toujours face à un tabou plus important sur ces questions.
Mais cette augmentation significative de la prise en charge d’adolescentes et filles très jeunes interroge aujourd’hui les spécialistes. Certains y voient un progrès des actions de prévention et de dépistage précoce, d’autres les conséquences d’une parole plus libérée sur le harcèlement scolaires ou les violences sexuelles ou intra-familiales.
Il est en revanche très difficile d’établir un possible lien avec l’influence des réseaux sociaux, et leur impact sur l’image et l’estime des adolescentes, par absence de données.
On constate également des disparités régionales. Certains départements, parmi les plus défavorisés, affichent des taux supérieurs à la moyenne nationale, ce qui laisserait à penser que les difficultés sociales, accentuées par le Covid et l’inflation, influent sur l’équilibre psychologique des adolescentes. La précarité et l’isolement ont toujours été considérés comme des facteurs de risque des troubles psychiques. De là à imaginer que le genre pourrait constituer un autre vulnérabilité, il n’y a qu’un pas que les spécialistes ne veulent pas franchir, par manque de recul.
Comment les aider ?
Face à cette situation, l’entourage, à commencer par les parents, se trouve souvent démuni. L’accès aux soins psychologiques pour les jeunes n’est pas aisé, quand on sait que le temps d’attente pour obtenir un rendez-vous dans un centre médico-psycho-pédagogiques (CMPP), structure publique de consultation et de soin en psychiatrie, varie de 6 mois à un an selon les villes. Dans le secteur privé, l’accès à un psychiatre libéral peut nécessiter également plusieurs semaines d’attente, et un tarif de consultation parfois prohibitif et dissuasif pour certaines familles.
Consulter un psychologue est une alternative qui fonctionne, mais ce dernier ne pourra jamais prescrire de traitement médicamenteux, si cela s’avérait nécessaire. On peut se tourner vers le réseau des Maisons des adolescents, qui recense les structures publiques ou associatives qui reçoivent des jeunes en consultation ou en soin, ou interroger les sites et numéros recensés ci-dessous. Ils peuvent être sollicités directement par les jeunes, de manière anonyme et gratuite, mais aussi par leurs proches qui veulent prendre conseils et informations.
Le Conseil national de la refondation sur la santé mentale a pris cette question à bras le corps et lancé l’idée de faire de la santé mentale la grande cause nationale pour 2025. Chacun peut soutenir cette initiative en signant la pétition en ligne.
Les numéros d’urgence et sites à connaître :
- Numéro national de prévention du suicide : 3114 (7j/7 et 24h/24)
- Service national téléphonique de l’enfance en danger : 119 (7j/7 et 24h/24)
- Fil santé jeune : 0 800 235 236 (accessible de 9h à 23h, 7j/7)
- Night Line : https://www.nightline.fr/ ligne d’écoute et chat pour les étudiants, de 20h30 à 2h30
- Santé Psy jeunes : https://www.santepsyjeunes.fr/
Sources :
– Enquête EnCLASS 2022, Santé publique France, 9 avril 2024
– Hospitalisations pour gestes auto-infligés : une progression inédite chez les adolescentes et les jeunes femmes en 2021 et 2022, DREES, 16 mai 2024