Le choix d’une laïcité stricte l’a officiellement séparée de ses racines. Mais de nombreuses attaches demeurent. Entretien avec Daniel Kreiss, ancien trésorier de SOS Amitié.

Ses silences dénotent la présence calme de l’ écoutant. Quand il parle en revanche, c’est direct, engagé, presque charnel. « Il faut se replacer à l’époque. C’était en 1960, il n’existait presque rien contre le suicide. Des milliers de personnes disparaissaient chaque année, beaucoup de jeunes. Par choix pour certains, par désespérance pour beaucoup », raconte Daniel Kreiss. « Alors quand Jean Casalis, le pasteur, a décidé de réagir, il a pris avec lui ceux qui étaient là, des paroissiens de la région, des amis, beaucoup de protestants, sa femme aussi. C’était presque une affaire de famille au départ. Mon père y est allé, puis moi quelques années plus tard. Il y avait un sentiment d’urgence, de service, un élan fondateur. »

Le succès d’une règle claire

Les débuts sont alors fulgurants. Des appartements sont mis à disposition par un legs et l’association se lance à Boulogne avec le soutien de la Fédération protestante, puis de l’Église catholique et du rabbinat. Très vite des dizaines d’écoutants se forment et assument plus de 70 000 appels la première année, plus de dix fois plus aujourd’hui. Plusieurs antennes se créent dans la région puis en province et une fédération naît en 1967 pour apporter une structure à ces initiatives très dispersées. « Les règles, elles, sont simples et immuables, calquées sur les Samaritains anglais : anonymat, priorité donnée au suicide, écoute 24h sur 24, groupe de relecture obligatoire avec un professionnel. Chaque antenne avait une forme d’indépendance et un état d’esprit très différent, c’était fondamental dans le soutien les uns des autres et soudait les équipes », souligne Daniel.

Virage technologique

Au début, la démocratisation du téléphone a beaucoup joué en faveur de SOS, l’influence personnelle de ses membres aussi, la reconnaissance rapide des autorités, le soutien d’entreprises comme la SNCF. Puis dans les années 1980 sont apparus le téléphone portable et la capacité de grouper des lignes téléphoniques. C’est à ce moment que le virage s’est pris insensiblement vers une organisation plus technique. « La difficulté de trouver des bénévoles pour assurer l’antenne de nuit pouvait soudain se compenser par des transferts d’appels vers les antennes de grandes villes. Le numéro unique d’appel a aussi permis une meilleure visibilité nationale, même si cela a sans doute aussi collaboré à uniformiser les ambiances de chaque antenne », analyse Daniel. L’esprit de conquête se serait-il un peu délayé dans le fonctionnement ?

Des choix fondamentaux

Parallèlement à l’évolution technique, SOS Amitié a renforcé ses liens avec les institutions sociales et médicales ces vingt dernières années. La vision posée par les Samaritains anglais a également été infléchie sur deux de ses principes fondamentaux, pour s’adapter à la société actuelle : un accent mis sur la laïcité a remplacé la neutralité bienveillante, et la priorité donnée au suicide a évolué vers l’écoute de la solitude. Malgré ces changements, un certain nombre de protestants continue à prêter l’oreille dans les différents centres d’appels, comme si un état d’esprit perdurait. Demeurent en effet à SOS des forces invisibles qui fondent l’engagement et échappent aux variations du temps. Les convictions du pasteur Jean Casalis sont toujours à vivre, qui montrent par des actes que l’engagement personnel est toujours possible, ou qu’au cœur de l’épreuve la relation humaine est de l’ordre de la grâce. Après 60 ans, les fondements de SOS Amitié survivent encore à leurs fondateurs.