Pourriez-vous nous présenter en quelques mots votre travail au sein de cette association ?
Créée en 1991, cette association naît de la volonté d’un groupe de psychiatres de permettre aux patients non francophones de bénéficier de prises en charge psychothérapiques avec interprète, dans leur langue d’origine ou leur langue usuelle. Elle promeut l’approche interculturelle dans le travail auprès de populations d’origine étrangère résidant en France. Son travail poursuit deux axes : celui de la recherche et de la formation, et le travail clinique en accueillant des patients suivis dans les locaux de l’association. Depuis plusieurs années, ce travail s’est concentré sur les patients victimes de torture ou de violences politiques.
En tant que thérapeute, éprouvez-vous parfois de la tendresse pour les personnes que vous recevez ou restez-vous dans une attitude la plus neutre possible ?
La neutralité souvent rapportée aux psychiatres reflète plutôt la nécessité pour celui-ci de montrer qu’il ne porte pas de jugement sur la parole de son patient et que celui-ci peut lui dire tout ce qu’il ressent, souhaite ou qu’il peut dire à son insu, comme en confession. Le psychiatre va alors tenter d’analyser ou de donner un sens à ces paroles et ces actes. Je tente dans ma pratique de garder ce non-jugement envers mes patients et de manifester une empathie propice à la relation de soins.
Je peux parler de tendresse en effet, dans le sens où cela traduit ma volonté de tendre vers mes patients, de tenir à eux d’une certaine façon.
En quoi la tendresse peut-elle être utile pour les personnes que vous rencontrez ?
Cette tendresse permet de traduire une forme d’attachement qui peut les porter et être contenante, dans un moment où les épreuves qu’ils (ont) traversent(ées) les détruisent et les questionnent sur leur capacité à rester humain, sujet désirant et pouvant être aimés. De me tendre vers eux et de manifester cet attachement permet de les remettre dans ce positionnement et non pas uniquement victime d’un bourreau ou sujet de la haine d’un autre. Les démarches administratives qu’ils ont à accomplir, pour être autorisés à résider en France, ainsi que toutes les démarches du quotidien, pour se loger et se nourrir les confrontent souvent à une forme de violence institutionnelle, de part cette neutralité ou indifférence administrative qui rejoue la violence qu’ils ont fuie. L’accueil et l’attention que je leur porte me semblent permettre d’atténuer cette violence et de créer un lieu d’apaisement qui peut, avec le temps et le travail que nous effectuons, se transposer en paix et sécurité intérieure.