Que l’on soit chrétien, juif ou musulman, on a tous besoin de se recueillir», affirme Driss Ayachour, membre du bureau exécutif du Conseil français du culte musulman. L’augmentation du nombre d’inhumations de musulmans en France traduit une double réalité : celle de citoyens français désireux d’être enterrés dans leur pays et celle des communes, sensibilisées à l’intégration et à la nécessité du vivre-ensemble.

Pour autant, les demandes d’inhumation des musulmans en France sont encore relativement faibles. D’après une enquête de l’Observatoire régional de l’intégration et de la ville, le rapatriement des corps reste la norme. «La mort en exil est encore considérée comme une malchance divine, explique, dans cette enquête, le sociologue Yassine Chaïb. Même pour la génération née en France, il reste parfois difficile de se dire qu’elle sera la première de la famille à être enterrée ici.» Cependant, le sociologue constate une évolution : «Il existe désormais un débat au sein des familles qui montre des parents disposés à réviser leur volonté de retour post-mortem». 1

La seule volonté de part et d’autre ne suffit cependant pas à accueillir les musulmans dans leur dernière demeure. Le cadre est en effet strict, tant du côté légal que du côté cultuel, même si au fil du temps on constate un assouplissement des deux côtés.

En France, c’est le maire qui a l’autorité sur les emplacements. En Alsace, il existe une vingtaine de carrés musulmans ou de cimetières accueillant quelques tombes. Si les premiers carrés recensés sont ceux de Colmar à la fin de la Seconde Guerre mondiale puis Mulhouse en 1957 et Strasbourg en 1973, la plupart a vu le jour au milieu des années 90 ou dans les années 2000. «S’il n’y a pas de volonté politique, il n’y a pas de carrés, résume Driss Ayachour. Mais je constate une évolution positive avec le temps et le concordat, dans notre région, facilite le dialogue avec les autorités politiques.»

Des principes religieux différents des chrétiens

Les tombes doivent être orientées vers la Mecque et il n’est pas dans la coutume de les entretenir, toute dépense ad hoc étant mal considérée, voire proscrite. La terre d’inhumation a un caractère sacré, ainsi un musulman ne peut pas être enterré là où était enterré un chrétien. De plus, la crémation est prohibée. Certains courants refusent aussi la superposition des corps des époux. Néanmoins, les musulmans de France sont en train de créer un rite funéraire adapté à la France et, selon Driss Ayachour, «ils ont opté pour les cercueils et fleurissent parfois les tombes, comme les chrétiens».

Le dialogue entre les familles et les communes semble être la voie nécessaire pour trouver la meilleure façon d’articuler les souhaits et les contraintes. À Erstein, un carré musulman d’une dizaine de places a été aménagé au début de l’été dernier. La Ville, où la présence turque est relativement importante, vise à promouvoir le vivre-ensemble entre les communautés. «Lorsque le nouveau cimetière a été construit à la fin des années 90, la Ville avait déjà prévu un emplacement spécifique», relate Patrick Kiefer, adjoint au maire chargé de la solidarité et de la cohésion sociale. Mais, selon l’élu, c’est seulement depuis trois ou quatre ans que la Ville a reçu des demandes ponctuelles. Certains musulmans ont donc été enterrés, jusqu’ici, de «façon chrétienne» quand le rapatriement n’a pas pu avoir lieu. «Pour l’instant, personne n’a été inhumé dans ce carré. L’idée est d’anticiper les demandes.» Même si, pour de nombreux élus, la méconnaissance persiste encore, d’autres estiment que la création des carrés musulmans est une garantie du respect des religions et des libertés, voire même, de la paix civile.

1. L’ultime geste d’intégration, Les cahiers de l’Observatoire, n°37, avril 2003, Observatoire régional de l’intégration et de la ville, Alsace