Au nom de la lutte contre les injustices, les statues de Churchill ou Colbert, de Gaulle ou Faidherbe, mais encore de Toussaint Louverture ou Simone Veil, ont subi, voici quelques mois, de spectaculaires dégradations. Plutôt que de marmotter « Ah, quelle époque !!! » à la façon du vieux monsieur que l’on trouve à chaque étape historique du film de René Clair Les belles de nuit, l’historienne Jacqueline Lalouette publie Les statues de la discorde (Passés/Composés, 237 p. 17 €). Cet ouvrage propose une analyse précise et nuancée des passages à l’acte auxquels nous assistons de nos jours.
Considérant que nous nous trouvons dans une situation grave en ce qui concerne la représentation symbolique, non pas d’un régime politique ou d’une religion, mais des relations entre les femmes et les hommes habitant des continents divers, aux origines, aux cultures les plus variées, Jacqueline Lalouette constate que l’histoire de la nation ne fait plus consensus. « On peut comprendre la colère et des habitants du continent africain, on peut comprendre les interrogations, les blâmes que portent certaines personnes dont les ancêtres ont souffert de la colonisation, car il est vrai que les opérations de conquête, par exemple de l’Algérie, ont donné lieu à des actes de barbarie qui font frémir. Mais ce qui n’est pas acceptable, c’est de pratiquer l’indignation à deux vitesses, de ne parler que la traite négrière atlantique en évitant de parle du rôle des arabes dans la traite intraafricaine, ou bien de s’en prendre à notre pays comme s’il était toujours colonialiste. Il y a là une réinterprétation, des manipulations historiques, enfin des lectures fausses du passé que nous devons dénoncer. »
Le cas de Colbert est désormais fameux. Contrairement à ce que croient les militants qui s’acharnent à dénigrer le ministre de Louis XIV, le Code noir, qui détaille un ensemble d’ordonnances concernant le statut des esclaves, n’a pris ce nom qu’en 1718. « Colbert ne peut être tenu responsable que de la première d’entre elles, estime Jacqueline Lalouette. Encore faut-il préciser qu’il en a seulement guidé la conception- puisqu’il est mort en 1683 et que le texte a été publié en 1685- et surtout qu’il avait voulu, par ce moyen, rappeler que les colons de Martinique devaient reconnaître l’autorité royale, mais aussi lutter contre les excès de l’esclavage! Aussi étrange que cela puisse nous paraître, aussi abominable à nos yeux puisse être l’esclavage, le texte voulu par Colbert avait donc pour vocation d’améliorer le sort des captifs. »
L’exemple du général Faidherbe
L’exemple du général Faidherbe, très différent, mérite aussi que l’on s’attarde. Il est vrai qu’au Sénégal le bonhomme ne s’est pas comporté comme un officier débonnaire, par exemple quand il incendiait des villages. Mais outre le fait que nul n’échappe aux travers que porte en germe son propre temps, faut-il déboulonner la statue de Faidherbe à Lille, quand le monument célèbre la résistance héroïque de ce commandant de l’Armée du Nord face à l’envahisseur prussien ? « Les lillois n’ont pas voulu célébrer la colonisation, mais commémorer un épisode absolument dramatique de la guerre de 1870, au cours duquel leur région a bien failli sombrer sous l’attaque des armées de Bismarck», nous déclare Jacqueline Lalouette
Regrettant que certains de nos contemporains se complaisent dans une haine de notre passé commun, l’historienne propose que des panneaux explicatifs placés à côté des statues apportent aux passants des précisions sur les actes condamnables que les personnes représentées ont commis ou fait commettre, dans certains cas notent au contraire que ce même personnes ne peuvent être tenues pour responsables de tel ou tel crime. Elle suggère aussi que l’on érige des statues à de nouveaux héros, comme la mulâtresse Solitude : « Il me semble essentiel de trouver des solutions pour réconcilier les mémoires, mais tout aussi fondamental de lutter contre certaines ignorances ou manipulations de l’histoire, qui se déploient au nom du moralisme, déclare-t-elle. Entre l’admiration absolue et la haine du passé, nous devons trouver la juste mesure des choses. »
On peut, bien sûr, espérer qu’à l’avenir les personnes honorées par une statue soient indemnes de tout reproche. Mais ne nous faisons pas trop d’illusion : nul n’est sans tâche- si l’on ose dire. Et puis cela ferait-il disparaître le vandalisme ? « Sans remonter jusqu’à l’antiquité- bien que nous soyons en droit de rappeler que les premiers chrétiens détruisaient déjà les symboles du paganisme- on sait que le vandalisme est une affaire ancienne, observe Jacqueline Lalouette. En 1562, les protestants du royaume de France ont détruit beaucoup de statues sur les façades des cathédrales où même à l’intérieur de ces édifices catholiques. » A ce rappel, aussitôt la conscience du protestant français se triture, se noue, se tord, en un mot se tourmente : « Quoi ? Nous qui sommes si formidables ? Nous qui incarnons le camp du bien ? Nous aurions parmi nos ancêtres quelques imbéciles ? » Eh oui ! Comme le répétait notre cher et regretté Bernard Cottret, même les esprits les plus éclairés peuvent tomber dans le crétinisme ! Passons…