Le tragique de l’Histoire
Parole d’ancien soldat, Louis-Ferdinand Céline a résumé les choses: « on est puceau de l’horreur comme on l’est de la volupté.» La guerre n’est pas encore entrée chez nous, mais elle frappe à la porte et chacun retient son souffle. Presque trois générations de Français n’ont jamais connu que la paix. Depuis quand notre nation n’a-t-elle pas senti le vent du boulet frôler ses oreilles ? D’une certaine façon, très singulière il est vrai, depuis 1962.
Le 19 mars prochain, nous célébrerons le soixantième anniversaire de la signature des accords d’Evian. Tramor Quemeneur, enseignant aux Universités de Paris VIII et Cergy, publie un magnifique album en compagnie de Philippe Labro : « La guerre d’Algérie en direct » (Historia-Le Cerf 504 p. 39 €).
Pour Regards Protestants, cet historien relate quelques données de cet ancien conflit, comme on partage des sources de réflexion.
Première observation : le manque de lucidité demeure une constante des gens face au tragique de l’Histoire.
« Du fait de la répression qui s’est abattue sur les manifestants de Sétif, le 8 mai 1945, on peut dire que la France avait elle-même favorisé les conditions d’une guerre, estime Tramor Quemeneur. Un nombre important d’algériens avaient contribué à la Libération de notre pays pouvaient nourrir le sentiment de mériter un juste retour des choses. Quand ils ont vu de quelle manière ils étaient traités, la rupture a été irrémédiable. Mais les populations d’origine européenne et les gouvernements de la quatrième République ont refusé d’en admettre l’évidence. »
A cela s’ajoute la division des familles politiques.
« Autant le combat contre les nazis, extrêmement violent, permettait d’identifier l’ennemi, autant la guerre d’Algérie révélait mille et une fractures au sein de notre société politique, observe Tramor Quemeneur. C’est un gouvernement de gauche, porteur, à l’origine, d’idéaux émancipateurs, qui avait fait entrer la France dans le conflit, tandis qu’une partie de la droite accusait de Gaulle de brader l’Empire et lui vouait une haine inexpugnable. Tout était donc imbriqué de façon très complexe. »
Dans ce brouillard, l’historien distingue le rôle des protestants, soucieux de défendre la Liberté de conscience jusqu’à l’insoumission, de refuser l’injustice et la torture.
« La Cimade a joué un rôle essentiel, dit-il. Qu’elle se soit mobilisée contre l’usage systémique de la torture ou qu’elle soit intervenue contre la répression policière qui frappait les algériens de métropole, en particulier au moment de la manifestation du 17 octobre 1961, cette organisation d’origine protestante a fait vivre les principes humanistes qui sont les nôtres. »
On recommande chaudement cet album richement illustré dont Tramor Quemeneur est le maître d’œuvre et Philippe Labro le grand témoin.
« A l’origine, le journaliste Yves Courrière avait pour Historia fait rédiger par de multiples reporters une somme extraordinaire de 128 numéros, le tout comprenant 3700 pages, explique l’historien. J’ai opéré une sélection des articles en essayant de nous placer au plus près des événements. Parler d’une guerre quand un autre conflit se déclare est un peu particulier. Rien n’autorise à comparer les deux situations, ni les temporalités, ni les enjeux politiques et géographiques. Il reste que la France a été mise au ban des Nations Unies au début de l’année 1958 et que s’il lui a fallu quatre ans pour enfin s’extirper de ce piège, elle n’en a pas moins perdu la guerre alors que sa domination militaire paraissait indiscutable. »
Une leçon de l’Histoire ?
(A suivre…)