Les Français sont-ils prêts face à la menace militaire ?

« Je dirai d’abord que du fait cette invasion de l’Ukraine, il existe soudain un tel niveau de menace qu’il y a de quoi retenir son souffle  », estime le général Jean-Fred Berger. (*)

La crainte d’une escalade nucléaire est ici décuplée par la proximité d’un conflit qui se déroule à 2300 kilomètres de nos frontières. Mais pour répondre à votre question, j’ajouterai tout de suite qu’en effet l’opinion publique est mal préparée à une telle perspective. Nous avons cru, après la chute du Mur de Berlin en 1989 et l’effondrement de l’empire soviétique en 1991, que nous allions pouvoir toucher les « dividendes de la paix », selon l’expression naguère employée par Laurent Fabius. En France le Service national, qui préparait militairement chaque année plusieurs centaines de milliers de jeunes Français à la Défense de la Nation, a été « suspendu » en 1997, remplacé par ce tout petit rituel collectif initiant à l’esprit civique: la « journée défense et citoyenneté » (JDC).

Pour financer la modernisation de l’armée française, on a dissous des centaines d’unités, fermé des dizaines de garnisons, vendu les casernes et considérablement réduit le format de notre puissance militaire. Dans ces conditions, la résurgence, en Europe, du tragique de la guerre provoque un effet de sidération parmi nos concitoyens. Préparer les Français de l’an 2022 à l’éventualité d’une guerre de haute intensité face à une puissance nucléaire agressive ne relève pas d’une partie de plaisir : il faut maintenir l’équilibre entre la pédagogie, l’alerte et la raison. Rien ne sert de verser des « larmes de crocodile » sur le lait renversé, de déclarer que nous devons payer notre insouciance passée, car à ce compte-là, bientôt, quelqu’un viendrait nous dire « qu’il hait les mensonges qui nous ont fait tant de mal » et nous plongerait dans le pétainisme et le défaitisme, qui sont au fond la même chose.

« Il est délicat à ce stade de réagir, admet le général Jean-Fred Berger. Pour ma part, je crois que les Français ont besoin d’être rassurés ; pour cela nous leur devons la vérité. Vladimir Poutine utilise un double langage permanent qu’il est plus utile de décrypter que de reprendre à l’état brut sur nos chaînes d’information continue, lesquelles multiplient les messages alarmistes, nourrissant un sentiment d’angoisse et d’impuissance qui ne peut que nuire à l’esprit de défense du peuple français. »

Un exercice de pédagogie réussi permettrait d’éclairer nos concitoyens sur les forces en présence plutôt que de les jeter dans les bras de la démagogie. L’armée française de 2022 est puissante. Elle dispose d’une force de dissuasion très moderne et d’une solide capacité de projection dans des opérations extérieures, souvent brillamment menées, comme au Mali. Cependant, ses qualités ne peuvent aujourd’hui se déployer que de façon ponctuelle et temporaire. Assurément notre pays pourrait être engagé très efficacement dans des combats de grande ampleur et de haute intensité, aux côtés de nos Alliés.

Dans un tel contexte, les protestants peuvent-il jouer en France leur partition ?

Bien qu’il préfère n’en rien dire publiquement, le général Chef d’Etat Major des Armées (CEMA pour les « fana mili ») est d’origine protestante. Pour le général Jean-Fred Berger, lui aussi enfant de la Réforme, il n’existe pas de spécificité protestante au sein des armées françaises depuis l’Amiral de Coligny…! Cependant, il souligne la forte proportion de protestants dans les autres armées de l’Otan, dont témoigne le grand nombre de leurs aumôniers militaires « parpaillots ». A défaut de préserver contre les failles humaines, cela peut faciliter le dialogue entre officiers.

Nul ne saurait donner de leçon supplémentaire. On soulignera cependant que l’époque exige, plus encore que de coutume, la diffusion d’une information de qualité.

(*) Jean-Fred Berger, général de division (2e section), fut le directeur des opérations à l’état-major interallié des forces de l’Otan, à Naples, de 2013 à 2016.

 

  • Pour aller plus loin :

Quelques mots de Jean-Louis Crémieux-Brilhac, tirés du préambule de son maître-ouvrage : « Les Français de l’an 40 », réédité voici deux ans chez Folio-Gallimard.

« Non seulement chacun évoque à tout moment des situations anciennes et des stéréotypes familiers, surtout ceux de la Grande Guerre, mais il me semble que dans beaucoup d’esprits, l’imprévu des événements réactive des strates psychologiques et des attitudes mentales antérieures, dans une oscillation qui accroît encore la mobilité de l’opinion habituelle en temps de crise : d’où une grande instabilité des jugements et des humeurs. Un bon nombre de Français ont, devant la guerre, sinon deux vérités, une sincérité alternante. » 

Des mots qui résonnent avec notre époque d’une manière spectaculaire. Tour à tour obsédés de bombe H et bercés d’illusions, nos concitoyens peinent à évaluer les risques encourus à nouveau par le pays. Mais qui le pourrait ? Ne sommes-nous pas, tous autant que nous sommes, des Fabrice del Dongo cherchant le champ de bataille en ignorant que nous nous y trouvons ?