L’antisémitisme n’est pas en perte de vitesse. Au contraire. Les attaques du Hamas en Israël, le 7 octobre dernier, ont fait 1 200 morts. Pourtant, la solidarité qui a suivi a été de courte durée. Il semblerait même que les massacres aient participé à décomplexer la haine antijuive, nourrie à celle d’Israël. Selon une enquête dévoilée samedi 4 mai par Le Parisien, les discours et les actes antisémites se sont banalisés en France. Celle-ci met en avant le fait que 92 % des juifs de France ont le sentiment que l’antisémitisme est un “phénomène répandu” dans le pays. 94 % estiment même qu’il est “en augmentation”. Réalisée par l’Ifop pour le compte de l’antenne française de l’American Jewish Committee (AJC Paris), l’enquête met en lumière un autre phénomène. Les juifs ne sont pas les seuls à ressentir cette montée de l’antisémitisme. 76 % des Français constatent désormais sa force dans le pays. Il y a deux ans, lors du dernier point commandé par l’AJC, ils étaient 12 % de moins à avoir cette opinion.

Simone Rodan-Benzaquen, directrice de l’AJC Europe, explique au quotidien : “On assiste à une propagation et une normalisation de l’antisémitisme qu’on connaît depuis deux décennies, et qui se confond avec le rejet d’Israël, alerte. Même si ça n’est pas majoritaire, ça a explosé en France et dans tous les pays, jusqu’aux plus improbables.” Parmi eux, elle pense notamment aux États-Unis. Dans certains campus, le slogan “From the river to the sea” (“Du fleuve à la mer”), promesse de destruction de l’État hébreu, a été entendu et a même rencontré un franc succès.

La “haine d’Israël”

Outre-Atlantique, comme dans l’Hexagone, les terribles images de la guerre à Gaza ont vite effacé dans l’opinion celles, insoutenables, du pogrom du 7 octobre 2023. “C’est une constante, déjà observée après la tuerie à l’école Ozar Hatorah de Toulouse en 2012 : chaque tragédie contre les juifs libère les passions antisémites”, constate Simone Rodan-Benzaquen. Selon l’enquête, la première cause expliquant l’antisémitisme est la “haine d’Israël”, selon 57 % des Français en général et 73 % de ceux de confession juive. “Les islamistes” (45 % et 56 %), les idées d’extrême gauche (16 % et 42 %) et “le complotisme” (35 % et 16 %) suivent. “Ce lien entre l’action d’Israël et la perception des juifs est fort depuis le tout début des années 2000, avec la seconde intifada. La communauté juive est la seule à qui on demande des comptes sur ce qui se passe dans un autre pays. Est-ce qu’on somme nos compatriotes d’origine chinoise de se justifier sur le sort des Ouïghours ?” interroge le politologue Dominique Reynié.

Directeur de la Fondapol, il enseigne également à Sciences Po, où les militants propalestiniens ont procédé à plusieurs blocages. “Il y a chez certains étudiants une relative insensibilité aux victimes du 7 octobre, au nom de ce qui arrive depuis aux Gazaouis”, déplore le politologue. Les slogans scandés ces derniers jours font, selon Simone Rodan-Benzaquen, qu’ “autour de moi, […] certains hésitent [à rejoindre Sciences Po. Ils sont], terrorisés par ce climat. Est-ce normal, en France, d’avoir peur d’aller en cours ?”

“Déversoir des réseaux sociaux”

Le “rajeunissement de l’antisémitisme” ne se cantonne pas aux facultés. Selon l’enquête, 35 % des moins de 25 ans estiment que c’est justifié de s’en prendre aux juifs en raison de leur soutien supposé envers Israël, contre 21 % de la population générale. “Exposées au déversoir des réseaux sociaux”, les jeunes générations sont confrontées à un antisémitisme ordinaire. “Si l’on ne met pas en place des politiques publiques vigoureuses, à l’école, à l’université, on va laisser s’installer une société antisémite”, alerte Dominique Reynié. D’autant plus que l’école est le “premier lieu d’exposition à ces actes”, d’après les résultats de l’étude. Si bien que les familles juives choisissent majoritairement (61 % d’entre elles) de scolariser leurs enfants dans le privé.

Depuis six mois, l’antisémitisme semble resurgir en France. Sur Internet, les propos antisionistes “outranciers” sont légion. Ils sont également de plus en plus nombreux dans la “vraie vie”. Ainsi, 25 % des 500 juifs sondés ont été victimes d’un acte antisémite, qu’il s’agisse d’une moquerie ou d’une agression verbale ou physique. Dans 12 % des cas, la situation s’est même répétée. Aujourd’hui, la situation est telle que la “peur” pousse une partie non négligeable de la communauté juive de France à adopter des “stratégies d’invisibilisation ou d’évitement, amorce d’un effacement de l’espace public”, précise Simone Rodan-Benzaquen.

La plus importante communauté juive d’Europe

Dans la pratique, 86 % des victimes d’une agression ne déposent pas plainte. En effet, 43 % d’entre elles sont persuadées que la démarche n’aboutira pas. Du côté des sondés de confessions musulmanes, certains clichés ont la vie dure. Pas moins de 59 % des 527 musulmans sondés pensent que les “juifs ont trop de pouvoir dans les médias” (5 points de plus qu’en 2022). Et ils sont 56 % à dire qu’ils “utilisent aujourd’hui dans leur propre intérêt leur statut de victime du génocide nazi” (+14 points). Mais si l’on prend tous les sondés confondus, 76 % des Français estiment que l’antisémitisme n’est pas seulement l’affaire des juifs, mais le problème de tous. Pour mémoire, avec quelque 500 000 représentants, la communauté juive française est la plus importante d’Europe.