Voici quarante ans que cet homme essentiel a disparu. Essentiel parce qu’il incarnait la République dans ce qu’elle a de meilleur : le désir de servir, le désir d’agir, le désir de dire le vrai.
Oui, le désir. Pierre Mendès-France était un sentimental. Attaqué parce que juif, d’une manière aussi violente que Léon Blum, et qui faillit périr plusieurs fois sous la menace d’attentats, cet homme fidèle à son passé construisit jusqu’à la fin de ses jours des arbres généalogiques destinés à prouver que ses ancêtres étaient français. Le magnifique documentaire d’Yves Jeuland et Alix Maurin, « Mendès la France », visible actuellement sur le site de France 5, en dévoile toute la tendresse.
Les images disent beaucoup. Le bébé couché sur le ventre, le jeune homme entouré de copains, le tout jeune député. Ces trois figures en un seul personnage nous sourient, presque une bille comme on disait dans le Paris d’autrefois. Mais à partir de 1940 et jusqu’en 1982, comme si le poids de la haine avait creusé dans son cœur une faille, Pierre Mendes-France affiche une gravité que rien ne paraît plus dérider.
En quelques mots, définir Mendès-France et le Mendésisme ?
On parierait que Maupassant lui-même n’y parviendrait pas.
Choisissons plutôt quelques textes de lui, qui reparaissent aujourd’hui sous le titre « La vérité guidait leur pas » (Folio Histoire, 320 p. 7,80 €). Cette galerie de portraits qu’a rédigés Pierre Mendès-France dans des circonstances très variées conduit bien sûr à penser que l’auteur, en parlant des autres, invente son autoportrait.
Voici l’éloge de l’ancien maire de Lyon, publié en avril 1957 : « Edouard Herriot s’est tu, mais nous entendons encore cette voix chaleureuse et prenante, à la diction lente et puissante, et qui nous était devenue si familière, si chère, si indispensable. » En préambule de cet exercice d’admiration, Mendès-France écrit pourtant: « J’ai beaucoup espéré en lui pour conduire sa rénovation [du Parti Radical NDLR] avec rigueur. Cependant, plus tard, il suivit certaines voies dont je peux comprendre les raisons mais que je n’ai pas approuvées ; ainsi, lorsqu’il fit partie de gouvernements dits d’Union nationale qui étaient en réalité des gouvernements de droite. »
Beaucoup de Mendès-France en quelques lignes : à la fois l’affection, la gratitude que rien n’entame, et la clarté politique. Il était un homme de gauche et non pas, comme on le croit parfois, l’homme des compromis.
Affirmant que l’homme politique est un mandataire, l’auteur écrit ceci : « Le premier devoir du porte-parole du peuple, à quelque degré de la hiérarchie qu’il se situe, consiste à maintenir le dialogue avec ses mandants, aussi franc et aussi constant que possible. » Un souci de vérité qui s’impose d’autant plus que le mensonge est, suivant Mendès-France, perçu par les citoyens : « Le peuple reconnaît intuitivement ceux qui œuvrent pour lui et ceux dont l’action s’enlise et n’avantage, en dernière analyse, que des intérêts privés et des droits dits acquis. »
Pareille ambition ne pouvait que se heurter aux médiocres calculs de politiciens retors. On sait que notre homme a gouverné le pays de main de maître, mais pendant seulement sept mois et dix-huit jours. Une telle conscience de la République, il fallait bien l’abattre, au moins dans le sens figuré, tant elle renvoyait les autres à leurs études.
Au passage, on notera la discrétion de l’hommage que le président Macron choisit de lui rendre cette semaine. « Gouverner, c’est choisir », disait aussi Mendès France…