Chacun connaît la fuite d’Élie à travers le désert (1 Rois 19 ) et sa rencontre au mont Horeb, lorsque la voix de Dieu se fait entendre non pas dans la tempête ou le vent mais dans le murmure d’un souffle ténu. Ce récit m’est apparu évident lors du premier confinement, alors que je longeais la Seine à vélo pour me rendre au travail. Sans voiture alentour, j’entendais pour la première fois le clapotis de l’eau sur les berges. Depuis, le ronflement de la circulation a repris ses droits, mais quand je passe sur ce quai je sais que le clapotis m’accompagne, même inaudible.

Notre monde est saturé de sons. Au point que lors d’un mariage ou d’une fête par exemple, le volume de la sonorisation sera monté jusqu’aux limites de l’ouïe, ce point précis qui fait ressentir la vibration du son jusque dans les os. Bien sûr, toute discussion devient inutile et les échanges doivent se faire dehors. La musique a exclu la parole. Ce phénomène est dû à la sonorisation numérique. Jadis les orchestres savaient varier l’intensité en jouant forte ou pianissimo ; l’arrivée du numérique a imposé une saturation de l’espace sonore. Avec comme résultat qu’un chanteur sans voix et une cantatrice d’opéra seront diffusés sur les ondes d’une radio avec le même volume sonore, un volume qui sera gardé constant durant toute la prestation.

Avec un tel traitement, l’oreille devient peu à peu insensible aux variations d’intensité, insensible aux murmures. La musique n’est plus ce temps où l’on écoute le silence entre les notes. La fête n’est plus l’occasion où l’ami pouvait livrer une part de son tracas. Le débat public, l’information, les séances à l’Assemblée nationale, les agendas, c’est l’ensemble de la conscience humaine qui est saturée  au point que les lieux de paix comme le fond du jardin ou la chapelle des diaconesses sont aujourd’hui recherchés pour que soit vécu un petit temps de retrouvailles avec soi-même.

Dans ce brouhaha saturé qui conduit l’homme au point qu’il ne puisse parfois plus réellement orienter sa vie, une certitude demeure. Le clapotis de l’eau de la Seine est là, inaudible et fidèle. Inutile ? Je n’en suis pas si sûr. Car il évoque mon Horeb.