Que craignent les chefs-d’œuvre de nos musées ? Une attaque au marqueur, comme à l’encontre de La Liberté guidant le peuple de Delacroix au Louvre-Lens en 2012, ou la soupe jetée par des écologistes radicaux sur les vitres protectrices des tableaux. Au quotidien, les gardiens de musée s’inquiètent des perches à selfie, des sacs à dos, des ados turbulents, etc.
Les musées existent pour provoquer la rencontre du public et des œuvres, qu’il s’agisse d’une grande institution parisienne ou de l’un des 1200 établissements labellisés Musée de France à travers le territoire national. Aussi faut-il se méfier de certaines réactions, notamment politiques, après le vol de joyaux au Louvre. Sa présidente-directrice a reconnu que le musée le plus visité au monde doit améliorer encore sa sécurité. Mais affirmer que sa mission première serait de préserver un patrimoine est un contresens.
Car un musée n’est pas un coffre-fort. Les malfrats rationnels savent que l’on n’écoule pas une œuvre connue de la communauté entière du marché de l’art, à moins qu’il ne s’agisse d’or et de pierres précieuses qui se fondent ou se retaillent, et c’est précisément ce qui est arrivé au Louvre.
Cet échec sécuritaire n’y change rien : un musée doit montrer. La valeur de l’art dans notre civilisation, de Phidias à Richter, tient au regard du plus grand nombre et à l’émerveillement partagé, non à l’idée qu’il recèlerait une part inaltérable de la puissance nationale. Et toute politique de sécurité dans les musées se subordonne à cette mission impossible à chiffrer (même par la très respectable Cour des comptes) qui consiste à offrir la beauté à leurs visiteurs. Voilà peut-être pourquoi l’honneur de la France souffre moins d’un vol qu’il ne gagne, chaque année, à la fervente générosité de sa politique muséale.
Bertrand Dicale, journaliste, pour « L’œil de Réforme »
