Le début de la fin. Président de la République en exercice, Emmanuel Macron l’ignore, mais il est en train de mourir. Au sens politique il s’entend. Chaque jour qui passe, en dépit d’une santé de fer et d’une énergie débordante, cet homme encore jeune perd un peu de son pouvoir. Au jeu des enfances – un, deux, trois, soleil – ses successeurs potentiels et ses opposants (qui ne sont pas toujours les mêmes, quoi que l’élection présidentielle génère un nombre incalculable de candidats, donnant raison à qui nous savons lorsqu’il déclarait : « après de Gaulle, ce qui est à redouter, ce n’est pas le vide politique, c’est plutôt le trop plein ») s’avancent et menacent de le saisir tout à fait. Comme un symbole de cette prochaine disparition, le livre d’Etienne Campion : « Le président toxique – Enquête sur le véritable Emmanuel Macron » (Robert Laffont). Tout y passe : le jeu de la séduction permanente, l’abandon des amis, les revirements stratégiques.
Le jeu de la séduction
A juste titre, on dira que le goût de plaire est l’inclination de toute personne ayant la volonté d’être élue, que l’ingratitude fait partie de l’arsenal dont dispose tout homme politique d’envergure. Le regard d’Emmanuel Macron, c’est vrai, sidère, tant il vous fait croire que vous êtes pour lui l’être qui compte le plus. « Un regard étonnant » pourrions-nous dire. Que ce charme suscite le désarroi de qui en est la dupe, on l’imagine volontiers.
Ceux qui reçoivent sans cesse des messages présidentiels chaleureux et qui, du jour au lendemain, n’ont plus le moindre signe se sentent enveloppés d’une indifférence glaciale qui les fait souffrir. Mais Emmanuel Macron ne dépare pas dans notre Histoire, et l’on peut même considérer qu’il n’est pas plus cruel que d’autres, au souvenir de François de Grossouvre, proche collaborateur de François Mitterrand qui s’est suicidé dans son bureau de l’Elysée parce qu’il se sentait délaissé par son mentor. Il est vrai que l’effet de source est effrayant : de disgrâces en humiliations, le président Macron se montre plus grossier que puissant, plus désinvolte que profond. Mais cela vaut-il que l’on en fasse une tragédie ?
Les revirements
Même chose en ce qui concerne les changements de pied politiques : après tout, l’adaptation aux circonstances ne distingue-t-elle pas l’homme d’Etat des idéologues ? Bien sûr, Etienne Campion a beau jeu de s’étonner de la dissolution ratée : « Quelle logique anime un président qui s’autodétruit ? Lorsqu’il annonça le séisme, un mot flottait sur ses lèvres : « clarification ». Pourtant, jamais les Français, pas plus que la classe politique, n’ont perçu aussi peu de clarté, alliances contre nature, retours de figures oubliées, dérèglements institutionnels… L’ultime « en même temps » du président consistera-t-il à laisser la scène politique dans cet entre-deux pétri de contrastes, cette clarification confuse ? »
Mais après tout, dans ce domaine, Jacques Chirac n’a pas fait mieux. On pourrait même estimer qu’en redonnant la parole aux électeurs, Emmanuel Macron s’est conduit en démocrate, alors qu’en 1997 rien ne justifiait la dissolution de l’Assemblée nationale, si ce n’est la volonté de Jacques Chirac de renforcer la légitimité d’Alain Juppé, Premier ministre affaibli.
La verticalité du pouvoir présidentiel elle aussi, compte parmi les poncifs de nos institutions. Qu’Emmanuel Macron ait promis, durant la campagne électorale de 2017, d’introduire de la collégialité dans sa pratique du pouvoir et qu’il se soit comporté de manière autoritaire une fois élu ne peut surprendre que les candides : imagine-t-on un candidat déclarer qu’il allait décider tout à chaque instant ? On lui souhaite bien du plaisir ! Même Nicolas Sarkozy, pourtant porté à ce genre de provocation bravache en 2007, n’a pas osé le faire. Que ceux qui l’ont cru se sentent floués, là encore, seuls quelques naïfs pourront s’en étonner. La logique de notre constitution confère au Président le sentiment que lui seul sait ce qu’il faut faire. On est en droit de le regretter, mais en attribuer la seule responsabilité à Emmanuel Macron nous semble injuste.
Une politique de Narcisse
Voilà pourquoi le livre d’Etienne Campion, bien que très bien documenté, rédigé de façon fluide et rigoureuse, peut paraître systématique. Il est pourtant salutaire et passionnant. Parce qu’à la semblance d’un autre jeu d’enfant, celui par lequel en reliant des petits points nous apparaît le portrait d’un personnage, il nous fait comprendre la vulnérabilité de celui qui préside aux destinées de notre république.
En ces temps de guerre, nous voudrions partager l’extrait d’un chapitre édifiant du livre d’Etienne Campion. La scène se déroule au mois de février 2010. Emmanuel Macron, membre à part entière de la Commission Attali – après en avoir été le rapporteur – déclare : « J’ai une idée pour économiser 5 milliards ! » Aussitôt, l’ancien sherpa de François Mitterrand demande au jeune banquier quelle est la solution qu’il préconise. « Et si nous supprimions la force océanique stratégique ? » Un malaise parcourt l’assistance et Jacques Attali rappelle aussitôt que c’est grâce à sa force de frappe nucléaire, grâce à ses sous-marins que la France conserve un siège de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations unies. Mais Emmanuel Macron n’en a cure et déclare : « ça coûte cher en entretien, en construction, en hommes ! » Et celui qui raconte la scène d’expliquer à Etienne Campion : « ça m’a marqué à vie tant cela en disait long sur son rapport à l’Etat. Quand il est devenu président, je n’ai cessé de voir son rapport à la défense et à la diplomatie sous ce prisme de la légèreté et de l’ajustement comptable ! »
On dira que la fonction présidentielle a peut-être transformé la personnalité d’Emmanuel Macron. Pourtant, le livre d’Etienne Campion nous donne l’impression contraire. Par manque d’expérience autant que par passion du théâtre, il joue des rôles, imite ses prédécesseurs, piochant chez de Gaulle, Mitterrand, Sarkozy, Pompidou, l’inspiration du moment. Mais il ne possède pas la moindre ligne directrice.
Ultra libéral ? Oui, mais moins par conviction – le fameux « quoiqu’il en coûte », décrété pendant la crise du Covid, en était le plus vif démenti – que par fascination pour son propre parcours. Une politique de Narcisse.
A lire : « Le président toxique », par Etienne Campion – Robert Laffont 464 p. 23,50 €