C’est un procès hors-norme avec une vingtaine de personnes jugées, plus de mille sept cents parties civiles, huit mois d’audience. Ces chiffres donnent la mesure d’une guerre endémique qui malmène le peuple français et plus largement provoque l’Occident. Endémique, car les enjeux ne sont pas tant spirituels que stratégiques. S’ils étaient spirituels, une discussion aurait pu naître avec le temps, comme une forme d’œcuménisme entre les enfants d’Abraham et transformer le conflit en débat. Mais les objectifs paraissent avant tout stratégiques, tant ils sont systématiquement construits. D’évidence, au Stade de France étaient visés les loisirs et le président de la République, au Bataclan la culture occidentale d’un concert américain. Mais pourquoi les cafés des 10e et 11e arrondissements ? Provoquer une tuerie aveugle ne suffit pas à expliquer la prise de risque de terroristes professionnels.

Une attaque stratégique

Ces arrondissements du centre-nord de Paris sont réputés accueillir des populations nouvellement embourgeoisées, notamment ces « bobos » dont l’ouverture d’esprit et la réussite sociale peuvent attirer. Ce que l’on sait moins, c’est le nombre croissant d’immeubles sociaux rachetés ou réno vés et l’arrivée de populations nouvelles souvent venues du nord de Paris. Principalement musulmanes d’origine, ces familles s’installent et se fondent dans la population en en épousant les codes et les modes de vie. Ces arrondissements sont ainsi l’archétype de la réussite sociale et de l’inculturation de nombreux musulmans. Il n’est donc pas étonnant que certains absolutistes y voient l’image d’une dépravation satanique et souhaitent ériger la violence en stratégie d’intimidation, contre cette tendance qui tiédirait les principes de la stricte religion. Dans cette stratégie de terreur, un amalgame a été commis entre intégration et assimilation. Car si l’assimilation induit une perte d’identité culturelle ou religieuse progressive dans une population donnée, l’intégration est bien différente. Elle conjugue la permanence de certains marqueurs de l’identité d’origine avec les rites et pratiques du lieu d’accueil. S’intégrer conduit donc inexorablement au dialogue, à la découverte d’autres valeurs desquelles il faudra tenir compte. Si quelques outranciers s’insurgent contre l’intégration, que ces critiques proviennent de milieux musulmans ou chrétiens, force est de constater l’efficacité du débat pour ouvrir les esprits. Nombre de jeunes de ces quartiers s’engagent dans des causes sociales, solidaires, écologiques et vont grossir avec ardeur les rangs des ONG.

Un environnement d’ouverture

On aurait pu penser la dimension spirituelle absente de ces démarches humanistes. Il n’en est rien. Ces jeunes générations attablées le soir aux terrasses discutent aussi de théologie et construisent le sens du monde de demain, peut-être plus ici que dans des quartiers plus populaires ou plus installés. Et ce mouvement d’idées continue à attirer de nouveaux jeunes en quête de sens et de débats d’idées plus réels que ceux des réseaux sociaux. Ce que le terrorisme a visé il y a six ans est donc aussi l’intégration de jeunes coreligionnaires dans une société plurielle.

Ce constat paraît alarmant. Car il dit toute la vulnérabilité de nos sociétés occidentales comme de notre modèle d’Église pluraliste à intégrer des identités fortes. Mais il dit aussi en filigrane la gêne que cela procure aux mouvements absolutistes de tous horizons.