L’historien René Rémond, jadis, avait identifié trois familles au sein de la droite: légitimiste, orléaniste et bonapartiste. Évidemment, pour nombre de nos concitoyens, cette classification fait partie des mythes et légendes plutôt que des réalités. Les contraintes économiques, la mondialisation, les recompositions politiques effectuées depuis vingt ans (dont l’élection d’Emmanuel Macron serait le couronnement) lui auraient fait perdre sa pertinence.
« Mais ce qui en réalité persiste et compte, écrit Marcel Gauchet dans « La droite et la gauche, histoire et destin» – livre qui reparaît dans une édition augmentée dans la collection Le débat (Gallimard, 169 p. 14 €)- c’est la structure qui commande ces tripartitions symétriques. Avec des contenus et des enjeux différents, c’est la question centrale qui demeure identique, et avec elle la gamme formelle des options fondamentales qu’elle autorise. Ce qui se trouve de la sorte défini, ce ne sont pas des partis, ni même des familles d’esprit au sens où l’entendait Thibaudet [politiste de la première moitié du XXème siècle NDLR]. Ce sont des lignes de regroupement tendancielles de l’opinion, à la fois relativement indéterminés dans leur teneur et remarquablement stables dans leur organisation ».
La joute électorale qui s’est achevée samedi 4 décembre au sein du parti Les Républicains donne raison à Marcel Gauchet. Bien sûr, il serait mécanique, et donc artificiel, d’établir un lien direct entre Xavier Bertrand, Michel Barnier, Eric Ciotti, Philippe Juvin, Valérie Pécresse et les groupes identifiées par René Rémond. Mais les idées que ces concurrents ont échangées durant la Primaire interne s’y référaient bel et bien. Sous cet angle, on peut dire que Valérie Pécresse a gagné parce qu’elle occupait le centre de ce jeu, réunissant la fidélité légitimiste aux valeurs traditionnelles, un libéralisme économique orléaniste, et l’aspiration bonapartiste en faveur d’un Etat fort.
Cette victoire sonne-t-elle pour autant le retour de la droite républicaine au devant de la scène ? « A bien des égards, Valérie Pécresse était la plus dynamique, la plus volontaire, et s’est montrée la plus efficace dans l’exercice du débat politique, estime Nicolas Roussellier, professeur à Sciences-po. Sa chance tient à ce que le peuple-électeur de droite fait preuve d’une vraie constance partisane. Alors que la gauche est en capilotade, le néo-gaullisme, bien qu’affaibli, bénéficie toujours d’un socle solide. » Un point de vue partagé par Philippe Braud, professeur émérite à Sciences-po, pour qui Valérie Pécresse possède un style charismatique, une extraordinaire habileté à diffuser des messages dans toutes les directions, l’absence de scrupules enfin quand il s’agit de convaincre: «Je pense que Valérie Pécresse est un leader qui saura porter le drapeau de son parti, mettre Emmanuel Macron en difficulté. »
Un atout supplémentaire
Le fait qu’elle soit une femme constitue un atout supplémentaire. Ainsi la droite, longtemps perçue comme conservatrice, prouve-t-elle sa modernité. Valérie Pécresse n’a pas manqué de le faire observer lors de son discours de victoire, samedi dernier.
« Bien sûr, elle a raison d’avoir agi de la sorte, mais elle doit veiller à ne pas abuser de cet argument, tempère Philippe Braud. Durant la campagne de 2007, on a pu constater que l’électorat féminin s’était montré particulièrement sévère à l’égard de Ségolène Royal, précisément parce qu’elle était une femme qui s’affirmait comme telle. »
On ajoutera, comme le note Nicolas Roussellier, que si le fait d’être une candidate suffisait à s’installer à l’Elysée, Anne Hidalgo serait évaluée bien plus haut dans les sondages. A ce propos, nos deux experts considèrent que Valérie Pécresse peut également pâtir d’une image trop parisienne, pis, Versaillaise. Au pays qui produit 258 fromages, il n’est pas toujours bien vu d’incarner le pouvoir central.
Mais la principale difficulté que la candidate LR devra surmonter reste l’étroitesse de son espace politique. « Aujourd’hui, la droite extrême est en plein développement, remarque Nicolas Roussellier. La candidature d’Eric Zemmour a encouragé Eric Ciotti à se lancer dans une surenchère idéologique et, malgré les éléments de langage qui ont été utilisés samedi après-midi, on voit bien que la droite républicaine est aujourd’hui divisée. » Les tensions surgies à propos de la création d’un « Guantanamo à la française » illustrent cette analyse : alors que la candidate investie refusait samedi soir de reprendre à son compte cette proposition, Eric Ciotti a déclaré dimanche : « Le message qui a été lancée hier par Valérie Pécresse n’était pas le bon message. »
On peut objecter que l’ancienne ministre de l’Enseignement supérieur dispose d’une image centriste qui lui permettra de rallier les déçus du Macronisme. C’est juste. Mais Valérie Pécresse risque de se heurter aux anciens LR devenus des piliers de l’actuelle majorité.
« S’il est vrai qu’Emmanuel Macron va avoir besoin du soutien de toute son équipe face à une professionnelle aguerrie des campagnes électorales, il est tout aussi vrai que les transfuges de la droite qui l’on rejoint vont jouer leur avenir politique au printemps 2022, souligne Philippe Braud. Chacun s’en doute, Edouard Philippe, Bruno Le Maire et Gérald Darmanin n’ont absolument pas intérêt à ce que Valérie Pécresse devienne présidente de la République. Ils vont donc redoubler d’énergie, rappeler que la politique qu’ils ont menée depuis cinq ans correspond à celle que prétend mettre en œuvre leur ancienne formation. La candidate LR, prise en tenaille, va manquer d’air pour exister. »
Cette phase nouvelle de la campagne a le mérite de faire prendre conscience de la crise d’identité que traverse la droite. Est-ce un mal ?
Dans un essai décapant, « Sous les pavés la droite », (Descléee de Brouwer, 208 p. 17,90 €) l’essayiste Alexandre de Vitry notait voici trois ans que la droite avait perdu son âme en rejetant la littérature :
« Cette droite à qui la littérature est si précieuse et qui, sans cette littérature, sort d’elle-même, bascule en d’autres eaux, devient militante jusqu’à s’altérer et à verser soit à gauche, soit à l’extrême-droite, souvent des deux côtés en même temps, en tout cas ailleurs qu’à droite. Sans les lettres, la droite se dénature. »
En écoutant s’exprimer certains de ses chefs de file actuels, on ne peut qu’approuver ce diagnostic. Ancienne élève d’HEC, Valérie Pécresse parle clair. On ne parierait pas qu’elle nourrisse pour Chateaubriand, Balzac ou Baudelaire une passion de tous les jours. Mais au moins ne va-t-elle pas soutenir que Vichy a protégé les Juifs. Il y a des moments, dans la vie d’un pays, où toute lueur est belle à regarder.