En sport, on est vétéran à 35 ans, l’âge auquel les cellules du corps commencent à moins se régénérer. L’entreprise tient pour « vieux » les plus de 50 ans, voire 45. Pour les 35-49 ans, on devient vieux à 66 ans. Pour les plus de 60 ans, pas avant 76 (1). « L’âge est une donnée biologique socialement manipulée et manipulable », prévenait dès 1978 le sociologue Pierre Bourdieu. Aujourd’hui, la retraite n’est plus le début de la fin de vie mais celui d’une nouvelle vie qui peut durer des décennies. La plupart des plus de 65 ans vivrait bien leur vieillesse. Ils s’estimeraient majoritairement en bonne santé, physique et psychologique, et gagneraient avec l’âge l’impression de moins subir leur vie. 90 % d’entre eux disent ne pas ressentir de grande solitude, grâce à leurs liens avec leurs familles, amis et voisins.

Beaucoup manquent cependant de discussions sérieuses avec leurs enfants et de partage avec leurs petits-enfants pour leur faire découvrir des choses qui leur tiennent à cœur (2) Les spécialistes voient trois âges dans la vieillesse : le début de la retraite (60-75 ans), actif et en bonne santé ; l’âge du vieillissement à partir de 75 ans avec un risque d’isolement, de problèmes de santé et de plus forte dépendance aux autres ; et le troisième âge après 80 ans, qui implique une dépendance de plus en plus forte, des adaptations du logement, voire le recours aux Ehpad (3).

Un enjeu de société

« La vieillesse est en fait très inégalitaire », modère Marie Lombard, gériatre en hôpital public à Dijon. « Ce qui pose problème, c’est le vieillissement pathologique.» Le défi du bien vieillir devient un enjeu de société dans la mesure où la dépendance et les maladies neurodégénératives augmentent. L’idée de finir ses jours seul en Ehpad fait l’effet d’un épouvantail pour la génération des baby-boomers. L’association de retraités Cocon 3S (4) se réunit régulièrement à Strasbourg pour échanger sur l’avenir. « Nous prétendons rester indépendants le plus longtemps possible et avoir une action sur la vie qui tourne », défend Christiane Sibieude, 69 ans. « Nous ne voulons pas être des fabricants de macramés et de mots croisés.» Cocon 3S planche sur un habitat social partagé à Strasbourg : une solidarité quotidienne permettrait à chacun de veiller sur l’autre.

Vieillir exige de s’adapter, résume Marie Lombard. « Et c’est compliqué de s’y mettre quand on a 60 ou 70 ans. Il faut s’y préparer beaucoup plus tôt. » Pour elle, les femmes vieillissent en général mieux que les hommes : « Elles ont une meilleure capacité d’adaptation, héritée de leur vie multitâches et une hygiène de vie moins susceptible d’entraîner des dépendances. Les hommes ne savent pas s’occuper d’eux après un veuvage. Leur départ en retraite est plus difficile parce qu’ils ont surinvesti le travail. Mais cela va changer d’ici quelques générations. »

En France, 728 000 personnes âgées vivent en institutions. Elles y passent en moyenne les trois dernières années de leur vie. Si le domicile reste le garant de l’identité quand tous les autres repères flanchent, rester chez soi n’épargne pas les ruptures, souligne Joa Ebel, psychologue dans un service de soin infirmier à domicile dans le Bas-Rhin.

« J’accompagne beaucoup de personnes en situation de deuil et d’acceptation de la maladie, de la dépendance. » « Qu’est-ce qui nous terrifie le plus ? La perte progressive et naturelle de nos facultés ou le regard que notre société porte sur notre déchéance ? », interroge la psychologue Marie de Hennezel. Quand on a trouvé un sens à sa vie, dans l’amour et la transmission, on peut accepter la dépendance en fin de vie, soutient-elle, comme le retour paisible au temps de la prime enfance, jamais oublié. (5)

1. Étude Prévoir et Ifop de février 2011.

2. Enquête de novembre 2013, citée dans la revue Soins Gérontologie n°115, septembre/octobre 2015.

3. Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.

4. Cocon 3S Alsace – Association pour le développement de la cohabitation conviviale, solidaire et partageuse pour Séniors Solos Solidaires – cocon3alsace@gmail. com, 06 87 20 15 09.

5. Comment accepter de vieillir ? Sous la direction d’Alain Houziaux, Les éditions de l’Atelier, 2003.