Le problème de l’Histoire, ce n’est pas tant qu’elle tourne à la farce après avoir joué la tragédie, mais le manque d’ajustement des pièces qui la composent: à la différence de la marqueterie, par un fait exprès, rien ne tient chez elle comme on voudrait. De là vient notre manque de lucidité, qui fait dire à Pascal Ory, sourire de chat garanti, qu’il n’y a pas de leçons de l’Histoire. Prenez la situation politique…
On pourrait déduire du silence présidentiel des conclusions mécaniques, alors que nul ne sait dans quel sens prendre le cours des événements. Le président de la République est depuis quelques jours installé au fort de Brégançon, villégiature officielle de la Présidence de la République. On peut parler d’un rituel, estimer normal qu’un chef de l’Etat concilie temps de repos, prise de distance avec les contingences quotidiennes et vigilance à l’endroit des grandes affaires du monde. Pourtant, quelque chose cloche dans l’aventure actuelle.
Pour la première fois depuis 1958, les parlementaires sonnent le la de la vie publique, obligeant le pouvoir exécutif à subir, obtempérer. Certes, les trois exemples qui vont suivre ne font pas une règle, mais ils dessinent une tendance. Il y a presque dix jours, les députés du groupe Horizons (lequel fait partie de la majorité présidentielle) ont voté un amendement contre l’avis du gouvernement sans qu’il soit demandé à Christophe Béchu, tout à la fois ministre de la Transition écologique (et de la Cohésion des territoires) et l’un des piliers du groupe Horizons, de choisir entre la solidarité gouvernementale et la fidélité partisane. A la fin de la semaine dernière, Bruno Le Maire, Ministre de l’Économie et des Finances, a déclaré qu’il était très favorable à la mission d’information sur l’évasion fiscale, voulue par le président de la Commission des Finances, Eric Coquerel, député LFI, estimant que cela permettrait «d’apaiser un peu le débat, de voir la réalité des problèmes plutôt que de systématiquement avoir ce réflexe de la taxation et qu’on regarde ce qu’il en est réellement de la fiscalité des entreprises, qu’on fasse la plus grande transparence sur le sujet ». Enfin le Parlement vient de refuser au président de la République et à la Première ministre la mise en place d’une session extraordinaire.
Bien sûr, on objectera que ces trois éléments ne sont pas de même nature, et que les associer dans une même étude relève d’une dialectique discutable. Mais que le porte-parole d’Edouard Philippe et maire d’Angers n’ait pas été sommé de clarifier sa position, que l’homme fort de Bercy soit contraint d’opérer un repli sur la question cruciale du contrôle des multinationales, que le gouvernement doive patienter, voilà qui dit beaucoup de la fragilité du pouvoir exécutif, Or, la force de gouverner- pour reprendre le titre du livre désormais fameux de Nicolas Roussellier- représente la pierre angulaire de la Cinquième République. Et si Michel Debré, par inclination favorable à l’équilibre des pouvoirs, avait modéré les ardeurs du général de Gaulle, on sait bien que nos institutions depuis toujours donnent la primauté politique au Président de la République. Au fort de Brégançon, le président Macron médite peut-être quelque contre-attaque. Mais son silence interroge et renforce l’impression que, depuis le mois d’avril, une forme de vacance le frappe.
Nombre de commentateurs estiment que la dissolution de l’Assemblée ne fait pas un pli : demain, après-demain, dans deux, dans trois ans… D’autres considèrent que la vulnérabilité de l’exécutif nous ramène à la quatrième république. D’autres encore considèrent la nouvelle situation comme une chance: ils affirment que les Français, remplaçant leur passion de l’affrontement par la culture du compromis, deviennent un « peuple adulte ». Il nous faut rester prudent. L’Histoire toujours nous réserve des surprises et, comme l’affirmait Raymond Aron : « Ce sont les Hommes qui font l’Histoire, mais ils ne savent pas l’Histoire qu’ils font. »
N’empêche, à deux pas de chez nous, il existe une nation dont les habitants doivent bien rigoler : depuis des années, ils nous observent et nous analysent en passant de la condescendance à l’envie, du désir à l’ironie, considérant que la politique avant tout comme un moyen d’atteindre la concorde, à l’issue d’un débat démocratique permanent, que le pouvoir exécutif doit savoir adopter la discrétion, se mettre au service des citoyens, rejeter le romanesque et le grand large- qu’ils assimilent à la vanité. Quel est ce peuple original ? Non, ce ne sont pas les Allemands, ni les Espagnols, encore moins les Italiens. Ce sont nos amis Suisses ! Hier, 1er août, ils fêtaient leur unité dans la diversité, leur diversité dans l’unité, leur confédération dans la joie, la bonne humeur et la tranquillité. Cela vous semble exotique ? Allons, rien n’est pourtant plus simple. Ou bien … !