Le XXe siècle a vu la fin des grandes idéologies et la remise en cause de toutes les institutions. Le Code civil de Napoléon avait promu l’idée d’une famille composée autour de la filiation d’un homme et d’une femme, renforcée à la fois par une morale religieuse et une morale républicaine. Mais y a-t-il encore aujourd’hui un modèle unique de famille et de vie conjugale ? Par quels modèles sont-ils portés ?
De la société à l’individu
Avec le siècle des Lumières et la mise en avant de l’individu, de ses droits et de sa dignité propre, de l’égalité entre tous les individus, le modèle de l’Ancien régime de la famille-lignage se trouve une première fois bouleversé. La famille devient l’expression de l’union libre de deux individus, premier et seul naturel des contrats sociaux, qui permettent à l’homme de passer de l’état de nature à celui de la culture (selon Jean-Jacques Rousseau). Le Code civil répond à cette compréhension en faisant du mariage un contrat entre deux personnes. Pour Irène Théry, il répond à l’asymétrie entre les sexes dans la procréation en faisant de la présomption de paternité le pivot de la conjugalité : le mari est déclaré père de tous les enfants naissant au sein de cette union, quelles que soient les conditions dans lesquelles la procréation a effectivement eu lieu, en particulier en cas de relations adultères. Elle souligne cependant que le seul couple doté d’une existence en droit est le couple marié qui par ailleurs ne prend son sens que dans son projet d’enfant. Par ailleurs, elle estime que le couple reste marqué par une hiérarchie du masculin sur le féminin : « le mari lui donne son nom, le dirige et le représente à l’extérieur. » La juriste et essayiste Marcela Iacub, est quant à elle beaucoup plus critique quant à cette institution du mariage napoléonien, soulignant les inégalités de droits entre hommes et femmes. L’adultère est un délit lorsqu’il est commis par une femme et n’est qu’une contravention pour l’homme adultère, et encore si, et seulement si, celui-ci introduit sa maîtresse au domicile conjugal ! Par conséquent, elle n’hésite pas à parler de l’épouse comme d’esclave sexuelle du mari lorsqu’elle évoque la question du devoir conjugal, soulignant que le « oui » au mariage vaut pour elle consentement pour tout rapport sexuel, sa vie durant. Et il faut en effet attendre 1990 pour qu’une première condamnation pour viol conjugal soit prononcée par une cour de justice !
Inégalités à travailler
Cette inégalité entre hommes et femmes au sein du couple est renforcée, selon Marcela Iacub, par l’idée du mariage d’amour qui naît au XIXe siècle et fait de l’érotisation du couple le gage de sa durabilité et transforme le sexe en amour, tout en légitimant et en amplifiant l’exploitation sexuelle des femmes. Irène Théry voit également une évolution à l’oeuvre dans les comédies romantiques du Hollywood des années 1930, de George Cukor à Frank Capra en passant par Howard Hawks. Ces comédies rompent avec l’idéal des contes de fées (ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants) en présentant des couples au bord de la rupture, qui finalement se redécouvrent et se reconquièrent mutuellement. Bien que ce style n’ait pas perduré, selon elle, ces comédies sont des comédies de l’égalité entre hommes et femmes. Cette égalité va se renforcer par l’égalité des droits entre hommes et femmes au cours du dernier tiers du XXe siècle et la démocratisation de cet idéal égalitaire du mariage.
La pression de la consommation
Citant la sociologue israélienne Eva Illouz, Marcela Iacub décrit la conjugalité avec des termes qui renvoient au monde de l’économie capitaliste : ce que nous appelons « l’amour romantique » consista d’abord et avant tout à désencastrer les choix amoureux individuels du tissu moral et social du groupe et à faire émerger un marché de rencontres autorégulé. Cette terminologie fait indéniablement penser à l’essai du philosophe français, Jean Baudrillard, La société de consommation (1970). À côté du drugstore et des mass-media, le sexe fait partie pour Jean Baudrillard des lieux où le passage d’une société marquée par la transcendance divine à une immanence de la consommation est le plus criant. Nous sommes poussés à la consommation pour ressembler au groupe auquel nous appartenons, tout en aspirant à nous en démarquer : « cette fonction sociale dépasse de loin les individus et s’impose à eux selon une contrainte inconsciente. » Cette consommation ne se limite donc pas à des objets marchands mais touche également la question de nos relations aux autres. L’hommeconsommateur se considère comme « devant-jouir », comme une entreprise de jouissance et de satisfaction. Comme devant-être-heureux, amoureux, adulant/adulé, séduisant/ séduit, participant, euphorique et dynamique. Il faut tout essayer. Car l’homme de la consommation est hanté par la peur de « rater » quelque chose, une jouissance quelle qu’elle soit. Le poids de la solitude L’effet collatéral de cette recherche individuelle de la jouissance, par la consommation des biens comme des relations, est que la solitude croît et s’étend dans notre société occidentale. Dans l’introduction de son dernier essai, La fin du couple, Marcela Iacub rappelle les chiffres des études de la Fondation de France sur le sujet. En 2009, un tiers des foyers en France est constitué d’une personne seule, contre un cinquième en 1975. De même, si le nombre de mariages a été divisé par deux entre 1972 et 2016, celui des divorces a été multiplié par quatre. 21% des Français déclarent souffrir de la solitude, que cette souffrance renvoie à une situation réelle d’isolement ou non. Les réseaux sociaux ne viennent pas rompre cette solitude puisque 80% des personnes en situation d’isolement ne les fréquentent pas… Face à ces évolutions à vitesse grand V des modèles de conjugalités, face à l’augmentation de la solitude, face à la prégnance de la consommation dans nos rapports aux autres, nos Églises ont sans doute à mettre en oeuvre des lieux où accueillir véritablement chacune et chacun dans sa situation. Des lieux marqués par la reconnaissance et l’accueil des individus, tels qu’ils sont, quel que soit leur parcours de vie. Des lieux où peuvent se redécouvrir en profondeur la solidarité et la fraternité, signes de l’amour inconditionnel de Dieu pour chacun.
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