Une plainte visant trois ministres a été déposée devant la Cour de justice de la République, jeudi 10 avril. Elle vise Catherine Vautrin, ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, Yannick Neuder, ministre de la Santé et de l’accès aux soins, et Élisabeth Borne, ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Les 19 plaignants, qui ont tous des professions très différentes, ont déposé une plainte pour « harcèlement moral, violences mortelles, homicide involontaire et mise en péril de la personne ». Ils souhaitent dénoncer des pratiques de « harcèlement institutionnel » pouvant mener jusqu’au suicide, révèle France Inter. L’époux d’une infirmière qui s’est suicidée a accepté de faire partie de la plainte. Pendant quinze ans, sa femme a travaillé comme infirmière pour le Centre hospitalier de Béziers. En février 2020, elle est confrontée à un patient en urgence vitale, qu’elle doit prendre en charge seule, malgré le fait qu’elle ait demandé de l’aide à une équipe de médecins non loin. Après cela, elle a confié avoir subi du harcèlement moral de la part de son chef de service. Ce traumatisme a été la cause d’un burn out et d’une dépression qui ont poussé l’infirmière à bout. En juin 2024, elle s’est suicidée en prenant une boîte de médicaments et a laissé une lettre pour expliquer son geste. « Elle met en cause la direction, et dit que son suicide doit permettre de protéger les autres infirmières pour qu’elles ne vivent pas ce qu’elle a vécu », a confié son époux.
Peu de temps après ce suicide, en août 2024, un brancardier de 48 ans a mis fin à ses jours et deux semaines plus tard, un autre agent du CH de Béziers a fait une tentative de suicide. Les soignants du service hématologie, dans lequel travaillait l’infirmière, se sont mis en arrêt maladie après son suicide. Un audit externe a pointé « plusieurs dysfonctionnements » au sein de ce service. De son côté, la direction du Centre hospitalier de Béziers souligne qu’un lien direct ne peut pas être établi entre le travail et ces suicides, qui ont des multiples causes. Autre drame, en janvier 2023, à l’EPSAN (Établissement Public de Santé Alsace Nord), un infirmier s’est pendu sur son lieu de travail. Il a laissé deux lettres, dont l’une pour l’inspection du travail. L’établissement a connu deux autres suicides la même année.
« Pas un seul hôpital ne serait ouvert »
Cette plainte révèle que la souffrance au travail au sein de l’hôpital public concerne tous les échelons de la pyramide. Ainsi, en septembre 2023, le chef de pôles des urgences du Groupement Hospitalier Territorial (GHT) des Yvelines Nord s’est donné la mort après 37 jours de travail d’affilée.
« Tous les clignotants sont au rouge pour l’ensemble des personnels hospitaliers, on joue avec le feu depuis des années », confie un dirigeant hospitalier à France Inter. « En un mot, si la loi était appliquée, pas un seul hôpital ne serait ouvert », détaille la plainte déposée à la Cour de justice de la République. L’avocate Christelle Mazza, qui porte cette plainte, évoque un harcèlement moral systémique et s’appuie sur trois éléments. Le premier est « l’organisation de la désorganisation institutionnelle, avec des ministres qui changent tout le temps, de multiples réformes de l’hôpital ». Le second est la « prétendue doxa des contraintes budgétaires » et le troisième est « la pression exercée sur les personnels ». En mars 2024, elle avait interpellé la ministre Catherine Vautrin sur le risque suicidaire au sein de l’hôpital public, et sur sept situations en particulier, mais n’a jamais reçu de réponse. Pour aboutir, la plainte doit passer le filtre de la commission des requêtes de la Cour de justice de la République. Elle étudiera la plainte le 19 juin pour déterminer si elle part à l’instruction ou ne va pas plus loin. La réponse de cette commission est attendue à l’automne.