Le 3 septembre prochain, bien à l’abri des châtaigniers de Mialet, l’assemblée du Désert aura pour thème « Voyageurs sur la terre ». Un bon sujet de réflexion pour le ministre de l’intérieur chargé des cultes, alors même qu’en principe un débat parlementaire s’amorcera sur les questions migratoires.
Le flux des migrants ne cesse pas, provoqué par le fer et le feu, la guerre et le dérèglement climatique. Au péril de leur vie, ceux que les vagues ont portés jusque chez nous veulent, avant tout, se donner la chance d’un lendemain. Les gouvernements d’Europe occidentale en réponse ferment leur porte. Ou presque. Et c’est dans cet interstice que se glissent les associations qui soutiennent la cause des pauvres gens.
Denis Seguin fait partie des avocats spécialistes du droit des étrangers. Sans mollesse quand il s’agit de faire respecter le droit des personnes, il ne verse pas non plus dans la complaisance à l’égard des exilés. Cet homme de foi, de loi, de bien, témoigne.
Aider en ayant conscience de nos limites
« Nous sommes tous les jours pris en tenaille entre les deux extrêmes, observe Denis Seguin. Les uns rêvent d’un monde sans frontières et les autres veulent rejeter les migrants à la mer. Nous devons donc d’abord rappeler cette évidence : il est normal qu’un Etat dispose de sa propre souveraineté, ce qui signifie notamment le droit de définir des règles et de les faire appliquer. Le problème est que la législation change tout le temps : huit lois ont été promulguées en seize ans. La dernière en date n’a pas deux ans et, bien entendu, nul n’en a fait le bilan. Faut-il de nouveau légiférer pour satisfaire la pression des tendances xénophobes qui s’expriment aujourd’hui ? De manière symétrique, je comprends que l’on veuille rester généreux. Mais nous devons raisonner de façon technique et pratique, agir en fonction de ce que nous sommes capables de faire, et donc avoir conscience de nos limites. »
A la demande des personnes directement concernées, le plus souvent à la demande des structures ou des associations qui accompagnent les migrants, Denis Seguin est confronté à des décisions en matière de visas, de titres de séjour, qui se traduisent de plus en plus par des Obligations de Quitter le Territoire Français, « OQTF » en jargon judiciaire. Contre ces jugements, les avocats peuvent formuler des recours devant le Tribunal administratif, interjeter appel devant la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA). Mais après ? La situation n’est pas aussi mécanique et limpide que l’on pense.
« Un grand nombre d’OQTF ne sont pas exécutées, souligne Denis Seguin. En 2021, sur 124 000 décisions, 8 000 ont été réellement réalisées. Légitimement, les préfectures peuvent envoyer la police, pour aller chercher les personnes et les mettre en détention avant de les expulser. Mais la police n’a évidemment pas les moyens de consacrer son temps à ces actions. Pour grossir les chiffres et donner l’impression que l’Etat n’est pas laxiste, les préfectures prennent trop de décisions d’éloignements. Celles-ci ne peuvent être appliquées. Par ailleurs, les migrants n’ayant évidemment pas de papiers officiels sur eux, l’Etat doit obtenir l’accord d’un pays de retour, Etat souverain lui aussi, qui peut parfaitement refuser d’accueillir les migrants concernés. »
La détresse et le respect du droit
Quotidiennement confronté à la détresse de personnes en situation difficile, Denis Seguin doit pratiquer une pédagogie de haute voltige, expliquer pourquoi cela ne se passe pas comme elles l’espèrent, pourquoi le visa le droit d’asile est refusé lors même que l’OFPRA reconnaît qu’elles sont menacées dans leur pays d’origine. « On peut dire que c’est humainement douloureux, mais nous ne pouvons pas nous opposer de façon frontale à un juge, observe l’avocat. Les familles me disent qu’elles connaissent des situations très graves, j’en suis bien conscient, mais je suis obligé de leur répondre que le droit repose sur des textes. Le juge, lui aussi, a pour obligation de faire appliquer la loi, quelles que soient ses convictions. »
Bien souvent, les adolescents étrangers prennent en charge un nombre élevés de démarches administratives et servent d’intermédiaires avec les autorités, parfois même avec les associations, parce qu’ils apprennent plus vite une langue nouvelle. « Cette inversion des rôles n’est pas seulement pratique, les jeunes protégeant leurs parents, souligne avec émotion Denis Seguin. Ces adolescents, voire leurs petites sœurs et petits frères incarnent l’espérance, la possibilité d’un avenir. » On imagine leur détresse quand la justice formule une réponse négative.
Cette détresse est partagée par tous, mais elle peut parfois prendre la forme d’une colère teintée d’illusions. « Les travailleurs sociaux savent bien dans quelle impasse nous sommes obligés de nous débattre, note encore Denis Seguin. Mais les représentants du monde associatif ne sont pas toujours aussi lucides, sans doute parce que le militantisme les aveugle, parce qu’ils s’accrochent à l’impossible. Je comprends leur tristesse, conçois leur colère, mais je ne peux rien faire d’autre que de leur expliquer la situation. »
Bien qu’il s’en désole, notre interlocuteur pense parfois que les migrants prennent un risque en demandant la régularisation de leur situation, qu’ils feraient mieux de rester clandestins. Mais devenir aux yeux des autres un fantôme social, exploité par tous, à chaque instant menacé par quelque arrêté d’expulsion sans même le droit de se défendre, est-ce une existence ?
« Dans ma pratique professionnelle, reconnaît Denis Seguin, je m’efforce de ne pas oublier cette phrase : « J’étais un étranger et vous m’avez accueilli » (Mt 25,35). J’essaie de rester fidèle à cet engagement en faveur de nos frères et sœurs, tous membres de la même famille humaine. »
On aimerait croire qu’une telle démarche guide le chef de l’Etat, les ministres et les parlementaires. Hélas, l’ombre d’un doute survole ces lignes…