Consulter les projets de vie des Églises locales suffit à constater que toute paroisse, petite ou grande, pratique l’accueil. C’est même l’une des trois priorités systématiquement rappelées : l’accueil, les jeunes, la prédication.
Une priorité mal récompensée
Chaque communauté organise donc comme elle le peut un roulement de conseillers pour une présence à l’entrée et à la sortie des cultes, ou bien confie cette tâche à une personne qui la considérera vite comme une vocation. Les conseils presbytéraux eux-mêmes s’interrogent régulièrement sur les efforts à mener pour maintenir la qualité d’écoute et la mobilisation des personnes choisies pour ce service.
L’expérience des nouveaux arrivés peut cependant être différente. Et le sentiment de ne pas avoir été accueilli peut concerner tout visiteur, pour toute activité paroissiale, dans tout type de communauté y compris parmi celles qui investissent beaucoup d’efforts et de formation. C’est que l’accueil a ses règles qui échappent parfois aux prévisions. On aura beau se former, organiser une équipe ou des repas à l’issue des cultes, préparer des feuilles d’accueil et de présentation, épousseter les boiseries ou mettre de jolis rubans, le sentiment d’être accueilli semble échapper à la logique, comme s’il était d’une autre nature et même si cela peut paraître décourageant.
La paroisse accueille
Les efforts consentis ne sont bien sûr pas à délaisser et font beaucoup pour le bien-être des personnes nouvellement arrivées. Toutes disent combien l’attention portée à l’autre est importante. Mais si certaines d’entre elles se sentent ignorées malgré tout, cela invite à se poser une question simple : l’accueil prodigué dans les paroisses correspond-il systématiquement à ce qu’on en attend ?
Dans de nombreux lieux, les accueillants parlent avec le visiteur, échangent des informations locales et lui présentent la paroisse. Parfois une formation à l’écoute est intervenue en amont, ce qui facilite une relation plus personnelle et adaptée. Mais l’étude des projets de vie des Églises locales traduit souvent une vision particulière de l’accueil : c’est la paroisse qui accueille le nouveau venu. Dans cette optique, l’Église est le but de l’accueil et la conversation visera tôt ou tard à l’intégration la plus parfaite possible du visiteur dans la communauté. Décrire ainsi le processus est caricatural, mais permet de comprendre que l’Église est souvent placée par l’accueillant au centre de la vie chrétienne, le nouveau venu se situant à l’extérieur. C’est cette vision des choses qui peut être interrogée.
Dieu accueille
Les théologies de la Réformation sont en effet basées sur le sacerdoce universel des croyants et définissent une Église invisible et l’Église visible. Autrement dit, non seulement personne ne peut savoir qui croit ou non en Dieu, mais la nature de l’Église se situe aussi en grande partie en dehors de ses murs. Le visiteur est donc un frère qui forme aussi l’Église, même s’il ne la connaît pas dans son aspect local. L’accueillir chez lui serait finalement curieux. Derrière cette affirmation de ne pas connaître les contours réels de l’Église, se cache la conviction fondamentale que c’est Dieu qui accueille. Le chrétien est par excellence celui qui, accueilli par son Dieu, s’en rend compte et y accorde de l’importance dans sa vie quotidienne. C’est donc avec cette sensation d’être lui-même accueilli que le paroissien peut accueillir une personne extérieure. Et cette précision est fondamentale pour comprendre le rôle de l’accueil dans l’Église locale. Car cela implique que le visiteur est accueilli par son Dieu de la même façon que le paroissien, ce frère ou cette sœur qui vient à sa rencontre pour lui souhaiter la bienvenue. Il s’agit donc d’une reconnaissance mutuelle, d’une rencontre entre pairs, d’une égalité de statut et cela change l’optique du geste d’accueil : aller vers l’autre, c’est se rendre disponible à une rencontre plutôt que de vouloir l’accueillir.
Se sentir aimé
Cette inversion de point de vue trouve son illustration lorsque l’on demande à des paroissiens récents pourquoi ils se sont intégrés dans une paroisse. Beaucoup témoignent d’une rencontre avec une personne particulière ou une équipe. Le facteur permettant au nouveau venu de se sentir membre d’une communauté est donc avant tout la qualité de la rencontre, c’est-à-dire la disponibilité de chacun à se laisser rencontrer par l’autre. Ainsi compris, l’accueil est avant tout une qualité de réception et non le fruit d’une technique ou de la bonne volonté. C’est se sentir suffisamment aimé et accueilli soi-même par son Dieu, pour s’ouvrir à l’autre et devenir disponible pour le rencontrer dans ce qu’il est, dans son humanité partagée de frère ou de sœur, dans la profondeur de sa vie. Les témoignages sont formels : tout peut alors arriver.
L’intuition de l’autre
Bâtir un groupe d’accueillants dans une paroisse est donc à la fois facile et délicat. Bien sûr on ne peut laisser les personnes pressenties pour accueillir livrées à elles-mêmes et il est important de les sensibiliser aux gestes de l’hospitalité. Sans doute faut-il aussi former l’équipe à la nécessité d’une écoute attentive de l’autre. Sans doute enfin faut-il prévoir des temps de partage entre les membres de l’équipe pour évoquer les situations délicates que certains auraient pu rencontrer.
Mais le changement de vision concernant l’accueil implique aussi d’accepter que la technique et l’organisation ne fassent pas tout et restent secondes. Les meilleurs accueillants ne sont pas forcément les mieux formés ni les plus conscients de ce qu’ils font.
En matière d’accueil mutuel des visiteurs et des paroissiens, le facteur réellement déterminant semble être l’intuition. Chacun au cours de sa vie a pu faire l’expérience de l’intuition, qui pourrait se définir comme une part presque inconsciente de soi capable de lire et de s’adapter à l’autre. En entreprise, le recruteur sait souvent en quelques minutes d’entretien si le profil de la personne qu’il reçoit convient au poste ou à l’ambiance de l’équipe de travail ; le parent sait habituellement très vite si son enfant est en danger ou malade. De la même façon, une vraie rencontre se base avant tout sur la rencontre de deux intuitions qui s’adaptent et se répondent, avant même de se situer dans les mots d’une conversation ou une technique particulière.
Un acte spirituel fort
Ainsi compris, l’accueil mutuel a donc lieu lorsque deux personnes, conscientes d’être aimées de leur Dieu, s’autorisent à laisser parler leur intuition pour se laisser guider vers l’autre et par l’autre. En langage spirituel, nous pourrions dire que ce sont deux âmes qui se rencontrent et se reconnaissent. Il s’agit donc d’un acte spirituel fort, pratiquement d’une prière.
Former des groupes d’accueil revient finalement à faire en sorte que les membres de l’équipe s’autorisent à laisser parler leur intuition et leur naturel, sans vouloir forcément accueillir. C’est avant tout un état d’esprit qui ressemble un peu à celui que l’on peut vivre lorsqu’on va prendre un repas chez une personne que l’on ne connaît pas mais qui nous a été chaudement recommandée par un ami. On sait alors déjà que le repas a toutes les chances d’être intéressant, chaleureux, profond et on cherche intuitivement les éléments d’une vraie rencontre.
Irriguer toutes les activités
En ces temps où les relations s’établissent aussi par internet ou lors d’activités paroissiales autres que le culte, l’accueil demande une adaptation des équipes. C’est en effet l’ensemble des actions de l’Église qui peuvent être passées au crible pour évaluer si elles comportent une dimension suffisante d’accueil. Cela peut concerner aussi bien une étude biblique qui prendra alors une dimension de partage, un contact avec des parents de catéchumènes, un service d’entraide lors de permanences de vestiaires, un groupe œcuménique. De quoi relire les priorités d’un projet de vie d’Église.