Des questions pour arrêter la violence : nommer victimes et bourreaux

Si la violence d’une personne ou d’une institution n’est jamais légitime, il existe des moyens pour reconnaître la nature des actes et faire la différence entre la force régulée et la violence infligée. L’accompagnement des victimes comme celui des bourreaux sera soumise à la clarté de cette reconnaissance.

Les actes de violence sont générés par des personnes qui, pour une raison ou une autre, ne tiennent pas compte de la réalité des vies qui les entourent. Sept questions peuvent être posées pour reconnaître le viol d’une conscience, avant même que la victime s’en plaigne ou parfois en prenne conscience.

Hommes, brebis et bœufs ensembles

Le récit des marchands du Temple où Jésus chasse aussi bien les marchands que les brebis et les bœufs marque l’absence de visée de son acte par rapport à une personne en particulier. Il s’agit d’un acte de force et non de violence. Car dans le mot violence se cache la notion de viol, c’est-à-dire l’effraction d’une personne. Qu’elle soit délibérément ciblée ou non, la victime est visée en tant que telle, personnellement, ne serait-ce que parce qu’elle est là. Le réflexe de nommer les victimes au moment d’attentats relève de ce constat : la violence vise une cible particulière, une vie réelle. La première question à poser à l’observateur est donc de savoir si quelqu’un est concerné par ce qui lui paraît anormal autour de lui et pourrait s’apparenter à une violence ou un abus.

Libération et enferment ? 

La deuxième question touche à l’effet de la violence supposée. Est-ce un acte ou une attitude qui libère une personne ou bien l’enferme ?

La libération se traduit par quelque chose que l’on peut partager, là où l’enfermement recentre la victime sur elle-même et lui occasionne un comportement de peur ou de recul. Dans le cas d’un harcèlement par exemple, la fébrilité ou le refus trop visible de participer à une activité paroissiale peut être le signe de cette peur caractéristique de l’enfermement. 

Quelle autorité ?

L’analyse de la violence peut s’exercer dans une troisième voie par l’examen de l’autorité de celui qui parle ou agit. Une autorité reconnue ne fera jamais problème car elle s’impose d’elle-même. Si elle est subie ou imposée, cela peut engendrer du conflit dans la communauté ou avec une personne en particulier. Cela peut également ne pas créer de violence directe mais un changement d’attitude, qui se repère par exemple dans les conversations. Ainsi, une personne vers laquelle convergent toutes les discussions ne peut être extérieure au problème naissant. En général, l’omniprésence de quelqu’un dans les esprits est anormale et sou- vent signe qu’une manipulation est en train de se mettre en place, de laquelle naîtra un viol de conscience puisque c’est la fonction même d’une manipulation.

En public ou en privé ?

En découle un quatrième point d’attention, qui révèle le caractère caché ou non des choses. Lorsqu’un problème se révèle dans la sphère privée à l’écart des regards, sa répétition doit être considérée comme une alarme systématique. La violence publique trouve souvent plus d’opposants pour la contrer, elle est en tout cas plus risquée pour l’agresseur, que ce soit en mots ou en actes et chacun peut en parler. Dans un endroit privé il est beaucoup plus difficile d’établir des faits ou des analyses. Mais la répétition est un signe ; il importe de partager au sein de la communauté les nouvelles des uns et des autres pour avoir une chance de déceler les anomalies qui peuvent être ponctuelles, à divers endroits, mais parfaitement nuisibles.

Qui est élevé ?

Dans le processus qui conduit à la violence, la frustration est souvent un moteur puissant, qui fait naître la volonté d’abaisser autrui pour lui paraître plus facilement supérieur et maîtriser la situation. Ce réflexe est souvent visible au sein des couples en souffrance, mais également dans certains groupes comme des Conseils presbytéraux ou associations. La cinquième question touche donc à l’élévation : la personne visée se sent-elle rabaissée ou élevée ? Quand on l’observe, analyse-t-on une tentative de dénigrement, de mépris, une volonté de la rendre insignifiante ou de couper systématiquement sa parole ? Dans les situations de racisme, de sexisme par exemple, ces procédés sont constants et paraissent juste un peu… « virils entre copains », alors que ce sont de véritables bombes pour ceux qui les subissent et n’ont plus les capacités de réagir.

Peut-on louer Dieu ?

En Église, une des marques de la santé d’une communauté ou d’une personne se situe dans sa capacité à louer Dieu, c’est-à-dire à rendre grâce pour ce qui s’est passé. Et c’est la sixième question à se poser pour se prémunir des violences. Or tout acte de violence, injure, mépris, harcèlement ou manipulation ne permet plus cette louange. Il coupe la victime de la capacité de sa relation à Dieu. De ce simple fait il constitue ce que la Bible appellerait un péché contre l’Esprit saint. Lorsque la prière et la sérénité du cœur d’une personne sont bloquées par une réflexion ou le comportement d’une autre, il y a fort à parier que le mot de violence peut être analysé comme étant à la racine de cette coupure.

Es-tu mon marchepied ?

Dernière question, plus éthique, concernant la violence. Durant le processus que l’on trouve anormal, a-t-il été besoin de marcher sur une tête pour avancer ? Cela se voit fréquemment pour justifier ses actes, par exemple lorsqu’il est dit que l’Église est morte et doit faire ceci ou cela pour correspondre à Dieu. Cela revient à construire sa foi sur le dos de ceux qui paraissent différents, en les abaissant. Une communauté d’Église ne peut se satisfaire de cette absence d’éthique. C’est également le cas d’une personne qui voudrait imposer une décision ou bien qui prétendrait que le Seigneur lui a parlé et dit de faire cela. Ces argumentations sans droit de réponse sont, dans les faits, des marchepieds qui nient l’altérité des autres personnes.

À l’occasion de son travail sur les atteintes faites aux personnes, l’EPUdF se lance donc aujourd’hui dans un vaste chantier, duquel l’Évangile devrait sans doute sortir grandi.