Certes le rêve de toute personne responsable serait de conduire l’humanité à prendre les décisions qui s’imposent pour continuer à vivre dans un monde acceptable.

Passer du rêve au réel

Mais les termes mêmes de ce rêve sont caduques. D’abord parce que nul ne peut vouloir quelque chose à la place d’autrui, ensuite parce que nulle action ne peut avoir de portée universelle, enfin parce que la définition de ce qui serait acceptable varie d’une personne à l’autre.

Il est donc illusoire de penser que les Églises résoudront par exemple la question climatique, même partielle, à la force de leurs convictions ou de leurs actions. En revanche, elles peuvent aider à ce que les sociétés, qui dans la réalité sont seules décisionnaires d’actions à portée universelle, puissent prendre et assumer des choix efficaces. Le rôle des Églises est donc avant tout de former, de proposer une spiritualité là où la société ne raisonne plus qu’en termes rationnels. 

Unir la société pour agir

Le premier axe théologique est un constat : le Dieu de la Bible considère l’humanité comme des individus singuliers, formant un peuple qu’il désire voir uni et tourné vers la valorisation heureuse de la Terre. Le rôle des Églises se définit alors par le terme de cohésion. Dans un débat sur l’écologie, la mission de chaque chrétien paraît être d’œuvrer, chacun à son niveau, pour que la société vive une cohésion suffisante pour que ce soit l’ensemble de cette société qui change et prenne des décisions, plutôt que des individus isolés. Cette mission de lien et de dialogue peut devenir une priorité ecclésiale de premier plan, notamment dans un monde de plus en plus angoissé par la question de son avenir.

Militer pour la finitude

Un second domaine dans lequel les Églises ont une réelle capacité d’influence concerne la compréhension de la finitude humaine. Comme il est dit dans le Credo, la toute-puis- sance est l’apanage de Dieu, confessé comme « Père tout-puissant » ou comme « tout-puissant créateur ». Elle n’appartient pas à l’homme. Pour nombre de théologiens, la Croix est même à comprendre comme un signe de la fin d’une toute-puissance divine. Autrement dit, malgré les errances passées, les Églises sont bien placées pour accompagner la société dans la réflexion et l’acceptation des conséquences de la finitude. Concevoir que l’humain ne peut pas tout, que les modes de vie peuvent évoluer ou que les priorités dans l’existence peuvent s’inverser, tout cela peut devenir l’un des piliers des communautés chrétiennes pour guider leur action.

L’altérité n’est pas un gros mot

Une conséquence probable de la crise climatique sera la redistribution démographique au niveau mondial, correspondant au troisième enjeu pour lequel les paroisses ont des atouts. La Bible rappelle à chaque chapitre depuis Adam et Ève, Caïn et Abel, l’obligation de ne pas se mettre au centre du monde et d’accorder une place à l’autre, l’étranger, le différent. Reconnaître le voisin comme légitime dans ce qu’il dit, pense et fait nécessite une ouverture d’esprit, dont le monde aura besoin. Cette notion d’altérité, avant d’être une découverte individuelle que chacun médite pour soi- même, peut devenir un mot d’ordre public que les paroisses annonceraient avec force. L’Église gagnerait là une utilité et une reconnaissance indéniables.

De la solidarité au compagnonnage

Il va sans dire que dans la crise actuelle, de nombreuses personnes restent sur le bord de la route. Soit à cause d’une compréhension défaillante de l’enjeu, soit par manque de moyens pour y réagir. C’est un quatrième enjeu. Le plus élémentaire humanisme voudrait qu’on y prenne garde et qu’un soutien soit apporté à ces personnes.

Mais cela sera le rôle des gouvernements et des associations sociales ou d’entraide. La caractéristique des Églises est de suivre le principe d’action de Dieu pour son peuple. Dans la Bible, la remise en mouvement des personnes bloquées ou arrêtées dans leur vie se fait souvent en deux temps. Que l’on prenne en exemple la prophétie d’Ézéchiel sur les ossements desséchés (Ez 37) ou les célèbres « lève-toi et marche », il s’agit de redresser une personne, puis de l’envoyer ou de l’accompagner.

Si le redressement est d’un ordre social et relève des associations ou de l’État, l’accompagnement est une question de sens et relève de l’éthique ou de la spiritualité. Les communautés chrétiennes ont là une responsabilité importante pour permettre à chacun d’accompagner le changement inévitable qui se présentera à eux sans perdre le cap ni s’arrêter.

Unifier l’être humain : un rêve ?

Le cinquième atout de l’Église concerne le problème le plus important de l’être humain en situation de crise. Le terme de dislocation pourrait convenir pour décrire ce qui se passe à l’intérieur d’une personne lorsque son environnement change, ses habitudes évoluent, sa pensée, ses choix éthiques, sa spiritualité même sont atteints par une obligation de se mettre en mouvement. Cela correspond à une perte d’unité. Or les Églises ont la pratique d’aider l’être humain à unifier ses dimensions physique, psychique et spirituelle ainsi que ses relations aux autres. Leur rôle de prédication et de lieu de partage et d’expérimentation sera considérable.

Sur ces cinq points majeurs de la théologie et de la vie chrétienne, les Églises ont la capacité d’accompagner le monde dans la crise écologique qu’il traverse. Les enjeux dépassent de très loin les réponses déjà apportées, mais sur tous ces points l’utilité des communautés est indéniable et demandera une implication de tous.