Fraîchement élu au Conseil presbytéral, un paroissien s’étonnait de l’emprise des décisions d’ordre matériel sur l’emploi du temps. Pourtant, chaque conseiller semblait vouloir vivre pleinement sa foi dans une communauté vivante et dynamique. Ce décalage flagrant semblait provenir d’une petite phrase brandie régulièrement comme un mantra : « Bon, mais concrètement, on fait quoi ? ».
Mettre le concret a sa place
Partager des idées et faire mûrir des décisions n’est pas facile. Ce processus met l’esprit en mouvement et déséquilibre pour un temps les certitudes de chacun. Se mettre en marche ou en transition revient à avancer la jambe pour faire un pas en avant, sans avoir encore posé le pied devant soi. Cette sensation d’incertitude est insupportable à certaines personnes ; elles ont alors l’impression de traverser une période de non-sens, voire de vide. Et le vide peut légitimement faire peur.
Devant l’absence apparente de sens ou l’inconfort d’une décision pas encore prise, ramener les débats au concret des situations est un bon moyen de se rassurer ; cela comble les zones de flou. Chacun peut évoquer un savoir qui, devenu indiscutable, ne sera par définition pas discuté. Le risque est alors que le concret prenne le pouvoir sur le débat pour le clore, frustrant au passage ceux qui souhaitaient plus de collégialité, de spiritualité ou de profondeur de vue.
Équilibrer le débat
Pourtant, la peur du vide qui incite à combler les interrogations par du savoir peut être positive quand elle nourrit un point de vue par un partage de connaissances, l’écoute d’autres arguments ou la recherche d’une position équilibrée. Le souci n’est donc pas le concret lui-même, mais le « mais » qui introduit l’expression « mais concrètement, on fait quoi ? » et dévalorise la discussion.
Combler le sentiment de vide par des décisions empêche alors de réfléchir aux enjeux, annihile la créativité et relègue le spirituel à l’intime. Or la plus pragmatique question touchant à la disposition des chaises dans un temple peut revêtir un enjeu spirituel pour la communauté ; il constituera même pour certains leur point d’entrée dans la prise de décision. Trouver un équilibre entre pragmatisme et vision communautaire devient alors un impératif pour l’animation paroissiale.
Rassurer par l’expérience
Un président de Conseil presbytéral confronté au poids du concret avouait avoir créé une commission pour traiter ces sujets. À l’usage, il n’était cependant pas convaincu par cette solution qui scindait artificiellement le matériel et le spirituel, si bien que la réflexion sur les enjeux avait disparu des décisions.
Un ami pasteur lui avait alors soufflé une approche plus participative. Au début de chaque séance du Conseil, il demandait à chacun d’inscrire sur une feuille la décision qui lui paraissait la plus adéquate concernant une question à l’ordre du jour. Puis il plaçait ces avis sous enveloppe et animait une heure de débat sur les enjeux de ladite question. La décision était ensuite prise, puis on ouvrait l’enveloppe pour s’apercevoir en général qu’aucune réponse ne correspondait à celle que le débat avait apportée. La présence de l’enveloppe avait comblé la peur du vide et permis à tous de se déplacer en participant au débat.
Beaucoup d’autres méthodes semblent possibles, l’essentiel étant de vouloir maintenir un équilibre entre pragmatisme et spiritualité, entre solutions et enjeux.