Les battoirs qui lui servent de mains inspirent la prudence quand on lui dit bonjour. Sous ses allures de gros nounours, l’homme est un colosse qui impose une forme d’autorité tranquille.

La chute

Pourtant ça n’a pas toujours été le cas. Pour notre rencontre, Étienne a tenu à donner une adresse au 40 d’une rue de banlieue parisienne, en disant qu’il ferait beau. Mais sur le GPS, ce numéro n’existe pas. « Bah oui », dira-t-il plus tard, « de toute façon j’étais là, vous ne pouviez pas me rater ». De sa vie dans la rue, il a gardé la liberté d’approximation et une capacité à relativiser n’importe quel événement ou problème.

Car Étienne a chuté, lourdement même, ce qui vu sa taille et son assurance d’aujourd’hui peut étonner. « Je n’avais pratiquement pas de famille, mais un bon boulot, stable et tranquille. Je suis un peu cabochard et il suffit que je dise ce que je pense un peu fort, pour que les gens prennent peur. Alors ils m’ont viré ». Après une série de petits boulots, Étienne se retrouve à la rue.

Souvenir de catéchèse

Là, deux souvenirs lui ont permis de tenir. « C’est le scoutisme et une séance de catéchisme, une seule », se rappelle-t-il. « C’était une histoire avec Dieu qui parlait à un type, un prophète, je crois. Je suis capable de le citer par cœur, il disait : “J’ai ton nom gravé dans la paume de ma main” ». Le prof, comme il appelle son catéchète d’alors, avait eu quelques phrases qui avaient touché le colosse. C’étaient juste quelques mots sur la violence et le fait qu’on pouvait avoir besoin d’un socle de confiance pour continuer à avancer quand on était dans la nuit, comme si le nom de chacun inscrit en lettres de feu pouvait éclairer et guider. L’enfant battu d’alors avec ses grosses paluches avait enregistré le message. Une fois dans la rue, les paroles étaient remontées peu à peu à la surface.

Scout et éducateur

Mais pourquoi citer le scoutisme ? « En fait, ça m’a donné confiance. Je me suis éloigné de mes amis, de ma famille, mais je savais que je pouvais allumer un feu et me débrouiller dans la nuit, et puis ça m’a donné envie de découvrir et d’ouvrir l’œil et j’ai vu des choses magnifiques. Des gens qui s’entraident alors qu’ils viennent de se faire voler leur tente. Bien sûr, c’est très violent comme milieu, la rue. Mais il y a des pépites ». Parfois il passe devant son temple d ’adoption, pour reprendre un peu de forces. La force et la volonté, Étienne les a retrouvées et il est retourné vers les études. Il a fini par devenir éducateur de rue, un métier d’autorité naturelle et d’écoute qui lui va bien. Avec un salaire, un appartement, il dit s’en tirer tout à fait bien.

Une œuvre missionnaire

Pourtant, c’est dans la rue qu’on le retrouve. « En fait, c’est le regard des autres qui me fascine. Ceux qui sont dans la rue. Souvent une partie paraît morte mais il y a comme des étincelles de vie ». Alors il aborde ses semblables, parle et mange avec eux. Et quand il les sent paumés, il leur raconte cette histoire de Dieu qui parlait à un prophète. « Je ne leur dis pas forcément que c’est Dieu, ou pas tout de suite. Mais je finis toujours par demander leur nom et tracer les lettres avec un doigt sur la paume de l’autre main en répétant les paroles de l’histoire : maintenant j’ai ton nom gravé sur la paume de ma main, tu es quelqu’un pour moi, je tiens à toi ».

Quand on lui explique que son Église est en train de réfléchir à la mission, il répond dans un rire. « Bah chacun fait ce qu’il peut, vous savez. Moi, je joue au jeu de paume avec mes potes ».