Natif de Gundershoffen, Christophe Kocher, 46 ans, a vécu plusieurs vies. Élevé «dans un milieu qui avait une vision traditionnelle du monde et de la foi chrétienne », il cite le pasteur Jacques Breisach dans ses inspirateurs, « un modèle et dont la maison était toujours ouverte». Il commence ses études de théologie à Strasbourg, et «prend le large» pour Genève à 21 ans. «Dans mon foyer étudiant, côtoyer des cultures très diverses, des Méditerranéens, des Sud-Américains, m’a ouvert l’esprit.» Il revient en Alsace pour son vicariat qu’il effectue à Saint-Pierre-le-Jeune, à Strasbourg. Ce poste « extrêmement exigeant» le ramène à la tradition luthérienne. Il en retient «le soin qu’on accorde à l’accueil liturgique.» Après un passage par l’Alsace Bossue, il part à Neuchâtel, en Suisse, avec son épouse. À 27 ans, il est choisi pour ses qualités de prédicateur et son intérêt pour la culture. «C’est là, que j’ai commencé à tenter de nouvelles choses.» Sous son impulsion, sa paroisse organise des festivals en été, avec cultes, concerts et pièces de théâtre. Son festival, intitulé “Le diable démasqué”, marque le début de sa médiatisation. Fidèle à son appétence pour la nouveauté, il accepte en 2009, de se mettre au service de la paroisse Saint-Guillaume à Strasbourg qui cherche «quelqu’un qui prêche bien», qui a une aisance culturelle et sait diriger une entreprise (le pasteur est diplômé en management).Très vite, il y organise des débats, des conférences, des célébrations interreligieuses. Un jour, Joan Charras Sancho, docteure en théologie protestante, est invitée à tenir une conférence sur les couples de même sexe et sur l’inclusion c’est-à-dire sur l’accueil inconditionnel au sein des communautés et institutions religieuses, des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenre et intersexuées (LGBTI). Elle restera dans la paroisse et y animera un groupe autour de ces questions (le groupe constitue aujourd’hui l’antenne inclusive de Saint Guillaume).
Secouer les certitudes
Dès 2013 et les débats autour du mariage pour tous (et de la Manif pour tous), le groupe propose pour la première fois une célébration inclusive dans l’église avant de participer à la marche des visibilités LGBTI dans les rues de Strasbourg. Cette décision ne laisse personne indifférent : «Les gens étaient sciés dans le cortège.» Dans la paroisse, les critiques ne se font pas attendre. Le pasteur reçoit «des lettres de chrétiens modèles bien-pensants». Mais il considère qu’au fond, «la démarche est bonne pour tout le monde.» « Pour un couple qui a quitté l’église, 50 autres se sont ralliés à la cause, des gens qui ne venaient plus. Du fait de la médiatisation de notre action, les gens entendaient parler de l’esprit de Saint-Guillaume.» Quoi de plus naturel alors pour le pasteur de répondre à des demandes de bénédiction de couples de même sexe mariés civilement ? En 2019, alors que le positionnement de l’UEPAL sur la question se fait attendre, il bénit deux couples. «Mon souci était simplement de ne pas faire attendre des hommes et des femmes qui demandaient, finalement, juste une bénédiction de Dieu.» Si l’homme a lui-même vécu avec un compagnon après avoir divorcé de sa femme, sa démarche «n’a jamais été d’argumenter autour d’une situation personnelle», insiste-t-il. Alors qu’il souhaite retrouver un peu de calme et de discrétion à l’Église réformée française de Zurich, le pasteur surmédiatisé assure qu’à Saint-Guillaume, la vie se poursuivra : «Ce n’était pas la lubie d’un “pasteur gay”, je vous assure que l’antenne inclusive de Saint-Guillaume va continuer.»
4 QUESTIONS À CHRISTOPHE KOCHER, pasteur et cofondateur de l’antenne inclusive 4 de la paroisse Saint-Guillaume de Strasbourg
Votre déclic pour votre engagement inclusif a-t-il été lié à votre évolution personnelle ?
À mes débuts à Saint-Guillaume, ma vie personnelle et le fait que je partage ma vie avec un homme me poussait plutôt à rester en retrait, à ne pas me lancer dans des débats. Mais le déclic s’est fait quand la Manif pour tous s’est fait entendre. Lors de débats sur l’inclusion dans l’Église, une dame a affirmé qu’évidemment, les personnes LGBTI étaient acceptées, qu’il n’y avait pas lieu de discuter. Je me suis dit : on ne peut pas juste se taire. Quelle est l’image du christianisme qu’ils donnent ? Des gens qui lapident, qui font passer le Christ pour un pharisien. C’est là que nous avons décidé de nous médiatiser, là qu’on est devenu plus “audacieux”. Puis, pendant toutes ces années, je n’ai pas caché ma vie personnelle, et mon ami vivait au presbytère.
Quel a été le rôle du Conseil presbytéral dans votre engagement ?
Il a été énorme pour le développement de l’antenne inclusive. Le groupe informel (composé de gens de la paroisse, de pasteurs de l’UEPAL, de personnes extérieures) a commencé à se structurer après l’attentat contre une boîte de nuit LGBTI en 2016, à Orlando aux États-Unis. Là, le Conseil est intervenu pour transformer ce groupe en une commission. Dès lors, nous n’étions plus “en marge”, nous faisions partie intégrante de la paroisse. Ensuite, le Conseil a débloqué la situation des bénédictions des couples de même sexe : alors que l’UEPAL avait “décidé de ne pas décider”, en 2014 et en 2018, le Conseil a estimé que je pouvais répondre favorablement à toutes les demandes, et inscrire ces bénédictions nuptiales dans le registre. Mais dès le début, le Conseil presbytéral avait déjà favorisé la tenue de célébrations inclusives et interreligieuses. Sans ces gens ouverts d’esprit, tout cela n’aurait pas été possible.
Pourquoi cette démarche d’inclusion des personnes LGBTI a-t-elle un sens, selon vous, dans une paroisse protestante ?
Je crois qu’il faut se rappeler qu’au fond, il ne s’agit là que d’hommes et de femmes qui veulent être respectés. Et les réalités qui nous font peur, il faut s’y confronter. Il y a des personnes transgenres visibles, et des gens qui arrivent avec des a priori. Finalement, des liens sont tissés. Là, pour moi, la grâce de Dieu se manifeste. Quel que soit le culte, on trouve tout type de gens dans l’assemblée. Alors, quand tout ce monde est autour de l’autel, on sent qu’il se passe quelque chose. Pour moi, cet engagement est un engagement de foi : c’est l’Évangile qu’on a vécu ici, et qu’on a essayé de proclamer.
Quelle est votre conception du débat, de l’engagement ?
En un sens, je ne voulais pas que le groupe de l’antenne inclusive devienne un groupe de militants. Le militantisme, est-ce constructif ? Souvent, il se fédère autour de gens acquis à la cause, et agace les autres. Pour ce qui est de la bénédiction des couples de même sexe, je ne voulais pas tomber dans la provocation. Si on fait partie d’une institution, il faut faire preuve de loyauté lucide. C’est ce qui s’est passé à Neuchâtel avec le festival “Le Diable démasqué” : j’ai fait monter un alpiniste déguisé en Satan sur la tour de la Collégiale, fait réaliser des “portes de l’Enfer” par des grapheurs… L’idée était d’interpeller, sans jamais provoquer. Ça a marché : j’ai vu des petites dames avec leur canne venir à la conférence d’un exorciste à la Case à Chocs (l’équivalent de la Laiterie à Strasbourg). Aux gens encore très critiques, je dis qu’on peut vivre sa foi tant qu’on est dans le respect de l’autre. Par exemple, j’ai toujours un contact fraternel avec le pasteur Stéphane Kakouridis (de la Communauté charismatique Saint-Nicolas à Strasbourg, NDLR). Quand nous sommes invités à des débats, nous nous serrons toujours dans les bras à la fin, pour montrer que même si on n’est pas d’accord, on peut faire Église. Je regrette par exemple que le Conseil national des évangéliques de France ait boycotté la tenue de Protestants en fête à Strasbourg lors des 500 ans de la Réforme, en raison de nos célébrations inclusives qui étaient pourtant des cultes habituels avec sainte Cène et prédication sur la fraternité.