Trop, c’est trop. « On a passé des mois à récupérer des objets chez des personnes qui les mettent de côté parfois depuis longtemps, qui se réjouissent de la vente durant toute l’année, qui font des confitures l’ été en pensant à l’aide que cela apportera, et puis… rien » se désole Monique, Bonne Maman d’une paroisse de banlieue parisienne. « Le pire n’est pas que ce soit annulé, on peut trouver d’autres moyens pour remplacer une vente, mais c’est cette alternance d’espoir et d’abattement qui mine les projets ».
Un effort de longue haleine
Orientées vers Noël, les ventes de novembre financent traditionnellement des actions d’entraides paroissiales durant l’année. À leur tête, des bénévoles comme Monique peaufinent chaque stand, discernent les bonnes volontés et répartissent un travail de longue haleine. « Quand on propose un assortiment de sets de table, un groupe paroissial l’a réalisé l’année précédente avec du matériel acquis lors des soldes en janvier », témoigne-t-elle devant son stock.
La plupart des ventes ayant été annulées, reportées ou transformées en une multitude de mini-ventes, les abeilles industrieuses se consolent en offrant des masques et en maintenant leur énergie au beau fixe, mais le coût humain est important. L’évocation de Monique est symptomatique du moral des troupes : « j’ai ressenti la même chose lorsque mes enfants sont revenus au bercail à l’occasion d’une recherche d’emploi, après avoir fait quelques mois plus tôt de grands adieux et laissé leurs parents seuls, heureux de les voir partir et épuisés de l’effort fourni durant toutes ces années ». Ces hauts et ces bas sont le reflet de l’incertitude, une oscillation face à laquelle aucune réponse ne semble possible.
Accueillir la fatigue
Une tentative de réponse serait d’inciter à la prise de recul par quelques citations bibliques bien senties sur les lys des champs ou les oiseaux du ciel. Mais pourquoi vouloir répondre et ne pas accueillir simplement la fatigue des bénévoles ? Cette année, l’imprévisible est le lot commun de tout projet paroissial ; pouvoir simplement déposer sa fatigue est déjà bon. Au-delà se pose la question de savoir appréhender l’incertitude de ces événements fantômes, tant l’être humain ne semble pas préparé à l’impermanence que génère l’oscillation des espoirs et des émotions.
Lorsque Jésus s’adresse à un paralysé (chacun peut l’être parfois dans ses initiatives déçues), sa parole prend une forme présente. Il ne prononce pas une phrase d’espoir, « tu vas pouvoir te relever bientôt », mais des mots qui traduisent l’espérance au présent : « lève-toi et marche ». Accueillir ainsi la réalité au jour le jour est cependant contraire aux habitudes. Avec des produits de consommation capables d’assouvir les envies humaines, la société moderne a certes intégré une notion d’immédiateté, mais ce n’est pas du même ordre. Assouvir une envie, c’est rendre immédiat un futur, ce n’est pas vivre le présent. Combler un besoin est en revanche un acte du présent, car le besoin est actuel. Il est possible qu’une part de la fatigue de Monique et de ses équipes provienne de leur envie ; non pas du besoin de prévoir une organisation à long terme, mais de l’envie placée dans la réussite de ce projet. « Du coup, accueillir le présent, c’est peut-être le décorréler de toute projection, pour simplement remercier de ce qui est donné là, aujourd’hui ? » conclut-elle.