Rire. Un instant, Volodymyr Zelensky, président de l’Ukraine, baisse la garde, quand le réalisateur Yves Jeuland lui demande si la série « Serviteur du peuple », dont il fut l’acteur principal, pourrait connaître une quatrième saison : « Vous savez, la vie est imprévisible, comme ma vie l’a montré. On ne peut pas tout prévoir. Alors, qui sait ? »
Devenir
Enfant d’une cité soviétique devenu comédien devenu chef d’Etat devenu chef de guerre, Zelensky peut-il être analysé en deux heures ? Evidemment non. Voilà pourquoi le documentaire d’Yves Jeuland, Ariane Chemin et Lisa Vapné se révèle une grande réussite : il n’impose rien, donne à voir et laisse à chacun le soin de comprendre.
Ariane Chemin, grand reporter au Monde et protestante, partage avec nous ses impressions
« Comme la plupart des gens de ma génération, je pensais que jamais plus l’Europe ne connaîtrait la guerre, explique-t-elle en préambule. Bien sûr, il y a eu la guerre en ex-Yougoslavie mais ce conflit, quoique bouleversant, c’était encore le XXe siècle Et la première guerre d’Ukraine, en 2014, n’avait pas eu pour moi le même retentissement. Lorsqu’au mois de février 2022 la Russie a frontalement attaqué, j’ai eu l’impression de vivre ce que j’avais appris dans les livres d’histoire. » Notre consœur a voulu partir pour l’Ukraine, afin d’observer ce qui se passait, d’interroger les gens.
C’est après une série de cinq reportages publiés par Le Monde que ce documentaire a été bâti. Ariane Chemin a travaillé de façon classique, décidée à raconter le destin de Volodymyr Zelensky, un homme politique atypique, qui lui paraissait plus complexe qu’on le disait. « J’ai appris qu’il n’avait pas fait son service militaire, qu’il n’aimait pas l’armée, dit-elle ; et la chercheuse Lisa Vapné a découvert des archives télévisuelles incroyables, qui ne montraient pas seulement le futur chef de l’Etat ukrainien dans des sketches improbables, en train de chanter, de danser, de faire rire, mais de faire de la politique, à sa manière. » Comme on le devine, les protagonistes de l’enquête, auxquels se sont ajoutés les deux institutrices et deux des camarades de Zelensky, se sont exprimés en toute confiance devant les caméras.
Pas de contrôle ou de censure de la présidence ukrainienne, pas de communication préfabriquée non plus, le travail accompli conserve ainsi toute sa fraîcheur et toute sa force.
Un parcours hors norme
On pourrait considérer le parcours de Volodymyr Zelensky, petit gosse ukrainien russophone, juif, qui a choisi de sortir de sa ville minière en montant sur les planches, comme assez classique, un reflet de l’URSS telle qu’elle a fonctionné, puis implosé. « C’est vrai, mais en participant à des jeux télévisés, puis en devant scénariste et producteur de ses propres programmes, en accédant à une notoriété considérable puis en se présentant directement à la présidence de la république, sans passer par les fonctions électives classiques, Zelenski s’inscrit plutôt dans la politique telle qu’elle se pratique désormais dans de nombreux pays, souligne Ariane Chemin. « Nous lui avons demandé s’il n’était pas populiste et, il a lui-même reconnu l’avoir été. Mais la guerre l’a transformé en résistant. Au lendemain de l’attaque, alors que les chefs d’Etat des pays démocratiques l’ont invité à partir en exil, il a choisi de rester. Cet acte de courage l’a fait basculer du côté de l’histoire. Il a, ce jour-là, changé de carrure. »
« Zelensky, c’est un corps, une présence »
Notre consœur admet volontiers que rencontrer cet homme restera un grand souvenir. D’abord parce qu’il est un chef d’Etat désormais mondialement reconnu pour ce qu’il fait, mais encore parce que cet homme au destin hors norme est en danger : « il est menacé tous les jours par les militaires russes. Et dispose d’un charisme véritable : « Zelensky, c’est un corps, une présence ». Il s’est « très vite mis à la politique et la diplomatie, ajoute-t-elle, alors qu’il y a quatre ans seulement, il n’en connaissait pratiquement rien. Il a bien voulu nous accorder une heure et demie d’entretien, sans téléphone portable. Je pense que confiance et son intérêt ont été confortés lorsqu’Yves Jeuland lui a mis sous le nez des archives qu’il ne connaissait pas lui-même. »
Au fur et à mesure que le documentaire nous est présenté, le trouble nous gagne. Cet homme capable de jouer des personnages multiples tout au long de sa carrière est-il vraiment devenu président de la République, ou bien joue-t-il un rôle ? « C’est un fait, Zelensky a toujours aimé se déguiser, remarque Ariane Chemin. Tour à tour cosaque ou Charlot, faisant le clown plus souvent qu’à son tour, il adorait changer d’apparence. Dans le contexte actuel, la façon dont il s’habille adresse aussi à l’opinion publique un message fondamental. En déclarant qu’il porterait des tenues militaires noires ou kaki tant que la paix ne serait pas signée, il incarne le combat de son peuple. J’ajouterai qu’en trois ans et demi de guerre, il s’est physiquement transformé. Le massacre de Boutcha, perpétré par les forces russes entre le 27 février et 31 mars 2022, l’a profondément marqué. Depuis, son visage est creusé, son regard est devenu plus grave. Lorsqu’il se sert de son expérience du stand up dans certaines circonstances, par exemple pour porter la réplique à Donald Trump quand celui-ci tente de l’humilier dans le bureau ovale, on se dit que sa formation a peut-être été la bonne. » Convaincre ? Vaincre plutôt…
A voir : « Zelensky », par Yves Jeuland, Lisa Vapné, Ariane Chemin, 2 x 61 minutes, disponible sur Arte.tv jusqu’au 11/12/2025