En Genèse 12, Abram reçoit de Dieu une vocation tout à fait unique : être en bénédiction pour toutes les familles de la terre. Pour ce faire, il lui faudra entrer dans une relation d’alliance avec Dieu. Mais avant cela, Abram devra se mettre en marche : quitter un lieu de ses origines, la maison de son père, aller avec Dieu et à la découverte de lui-même [1].
Des débuts difficiles
Au gré d’une famine, Abram se dirige vers l’Égypte, non sans cogiter sur son sort, qu’il vit avec inquiétude :
Or, au moment d’atteindre l’Égypte, il dit à sa femme Saraï : « Vois, je sais bien que tu es une femme belle à voir. Alors, quand les Égyptiens te verront et diront : “C’est sa femme”, ils me tueront et te laisseront en vie. Dis, je te prie, que tu es ma sœur pour que l’on me traite bien à cause de toi et que je reste en vie grâce à toi » (Gn 12.11-13).
Un mari qui veut être un frère ou même un petit garçon
Antoine Nouis s’amuse des propos d’Abram : « S’il trouve que sa femme est belle, Abraham aurait pu le lui dire avant que sa beauté ne représente un danger pour lui ! [2] » Mais il y a ici plus qu’une taquinerie. Sur la forme tout d’abord, Abram s’adresse à son épouse par une prière « je te prie » (v.13), mais le lecteur ne s’y trompe pas : il y a là une demande insistante à laquelle Abram n’entend pas que Saraï puisse lui répondre par la négative. Cela relève davantage de l’exigence que de la prière. Sur le fond ensuite, Abram présente un enjeu de vie et de mort et particulièrement de sa mort à lui : « ou bien être responsable de sa mort, ou bien être cause d’un beau profit ! On le voit, la manipulation est puissante… [3] » Abram force le trait jusqu’à présenter la situation comme plaisante pour Saraï : toi, ils « te laisseront en vie » (v.12). André Wénin voit juste : « De Saraï, il veut faire un bouclier humain en lui demandant de se sacrifier pour lui. Il l’utilise dès lors comme un instrument pour réaliser son désir à lui [4]. » Nous voilà bien loin du projet divin énoncé pour le couple au début de la Genèse : « os de mes os et chair de ma chair. » (Gn 2.23) Abram démissionne en imaginant un stratagème qui revient tout simplement à renier le lien marital. Saraï ne sera plus femme, mais sœur. Ou, allons plus loin, Saraï ne sera même plus sœur, mais mère, envoyée en première […]