Léa et Rachel sont entrées dans une compétition permanente, déchirante pour enfanter, une compétition pour attirer l’attention et l’amour de leur mari commun. Les prénoms que l’une et l’autre donnent à leurs fils laissent transparaître leur mal-être et leur rivalité. À chaque fois, le prénom de leur enfant entre en résonance avec leur souffrance et leur espoir aussi, tandis que Jacob est absent du processus de « choix des prénoms des enfants ».
Léa mène la course en donnant naissance à une série de quatre fils :
- Ruben : « Le Seigneur a vu mon humiliation ; maintenant mon mari m’aimera. » (Gen 29 : 32)
- Siméon : « Le Seigneur a entendu que je n’étais pas aimée, et il m’a donné un autre fils. » (Gen 29 : 33)
- Lévi : « Cette fois-ci mon mari s’attachera à moi, car je lui ai donné trois fils. » (Gen 29 : 34)
- Juda : « Cette fois, je louerai le Seigneur. » (Gen 29 : 35).
Rachel, voulant rattraper sa sœur, donne naissance par procuration via sa servante Bila :
- Dan : « Dieu a jugé en ma faveur. Il a entendu ma voix et m’a accordé un fils, à moi aussi. » (Gen 30 : 5)
- Neftali : « J’ai lutté auprès de Dieu contre ma sœur et j’ai vaincu. » (Gen 30 : 8)
Cette idée plaît à Léa à qui Jacob semble s’unir moins souvent (Gen 29 : 35 ; 30 : 14-16) et qui ne voudrait pas prendre le risque de se faire dépasser ; elle donne naissance à deux fils via sa servante Zilpa :
- Gad : « Quelle chance ! » (Gen 30 : 11)
- Asser : « Quel bonheur ! Maintenant les femmes diront que je suis heureuse. » (Gen 30 : 12)
Léa donne naissance à son cinquième et son sixième fils, puis à une fille :
- Issakar : « Dieu m’a payé un salaire pour avoir donné ma servante à mon mari. » (Gen 30 : 16)
- Zabulon : « Dieu m’a fait un beau cadeau. Cette fois mon mari m’honorera, puisque je lui ai donné six fils. » (Gen 30 : 20)
- Dina (Gen 30 : 21)
Rachel tombe enfin enceinte et donne naissance à deux fils :
- Joseph : « Dieu m’a délivrée de ma honte. […] Que le Seigneur m’ajoute encore un fils. » (Gen 30 : 23-24)
- Ben-Oni : « Fils de mon malheur » (Gen 35 : 18) renommé Benjamin par son père, ce qui veut dire « fils de ma main droite » (Gen 35 : 18). Ainsi est-il le seul enfant de cette fratrie qui reçoit un nom de la part de son père. Des circonstances de sa naissance ressort un triste constat : celle qui pensait mourir si elle ne n’avait pas d’enfant, meurt en donnant naissance à son cadet.
Une vision altérée de la sexualité
Dans ce qui nous est rapporté dans le texte biblique, Léa et Rachel se parlent uniquement à travers la naissance de leurs fils, à une exception près. Ruben, le fils aîné de Jacob trouve des « pommes d’amour » (Gen 30 : 14), des mandragores et les apporte à sa mère Léa. Rachel en voudrait aussi, mais la souffrance de Léa la ferme au partage : « Il ne te suffit pas d’avoir pris mon mari ? Tu veux encore prendre les pommes d’amour de mon fils ! » (Gen 30 : 15) Tu as pris mon mari ?! N’est-ce pas plutôt Léa qui a « pris », même involontairement et par l’intermédiaire de leur père, le mari de sa sœur ? Dans ce jeu-là, chacune a pris le mari de l’autre et se trouve elle-même privée de mari.
Alors Rachel négocie les pommes d’amour contre une nuit avec Jacob. Léa accepte tout de suite, ce qui montre qu’elle a dû être négligée par Jacob dans ce domaine, à qui elle annonce : « Tu dois passer la nuit avec moi : j’ai payé le droit de t’avoir contre les pommes d’amour de mon fils. » (Gen 30 : 16). Elle aura un peu d’attention de son mari et une chance de tomber à nouveau enceinte, même si sa démarche est ambigüe. Léa semble avoir tellement souffert en matière de sexualité que sa vision paraît altérée et qu’elle pense pouvoir exiger un rapport. L’échange proposé par Rachel n’est pas moins ambigu, car […]