L’autre fils, resté travailler auprès de son père, est jaloux de l’accueil réservé à son frère…

Le cadet a vécu toutes sortes d’expériences plus ou moins heureuses, mais qui toutes l’ont construit. Ayant retrouvé son père, il s’est probablement aussi retrouvé lui-même. C’est un motif largement suffisant pour faire la fête : la vie est revenue, non pas semblable à ce qu’elle a été avant le départ du cadet, mais la vie en abondance. La fête est démesurée, à la mesure même de la joie du père qui voit son enfant accéder à lui-même. Il est revêtu de la plus belle tunique, de sandales ; on lui passe un anneau au doigt. C’est une tenue de noces, pour célébrer un nouveau départ qui s’élance à partir des ruines de son ancienne personne.

L’aîné n’en est largement pas là. La fête semble impossible pour lui. Il a trimé pendant toutes ces années, n’ayant pas compris que tout est grâce. N’ayant même pas entraperçu la démesure de l’amour et de la générosité de son père. Face à cette fête, il perd les pédales et devient fou de colère. Il accuse même son père d’être aimant et généreux. Cette histoire est véritablement une histoire de mort et de résurrection, et on y trouve le même genre de comportements que face à la résurrection du Christ : peur, incompréhension, dérision et diffamation. Si nous devions terminer l’histoire à notre façon, mettrions-nous en scène le fils aîné qui baisse la garde, qui va faire un brin de toilette en rentrant des champs, et qui va faire la fête avec le reste de la famille ? Ou alors, selon notre propre incapacité à nous ouvrir vers la vie, raconterions-nous un frère qui tourne le dos à cette débauche de nourriture et de musique ?

Ce n’est pas le fils cadet qui initie la fête, c’est le père ! Et c’est lui qui entraîne dans la joie de la vie, comme si nous étions incapables de mesurer nous-mêmes combien il est important de se réjouir du chemin parcouru. L’histoire du père qui a deux fils s’achève de manière ouverte : «Il fallait nous réjouir car ton frère était mort et il est revenu à la vie.» La fête bat son plein, mais l’aîné n’a pas encore fait de choix. Le texte se termine sans se terminer. Pour les siècles des siècles, chacun et chacune devra faire un choix : celui de la fermeture, de la mort et de la malédiction ; ou bien celui de l’ouverture, de la vie et de la bénédiction. Le père nous attend. Ne l’attristons pas.